A l’issue du premier tour des élections régionales, le séisme politique et démocratique est énorme : sept électeurs sur 10 ne se sont pas rendus aux urnes ; huit sur 10 pour les moins de 30 ans, sans compter les plus de trois millions de non-inscrits sur les listes électorales. L'abstention est le premier parti de France.
Au niveau national, l’abstention fait 68%, LR et alliés environ 9%, le RN quelques 6,3%, le PS et affidés 5,5%, EELV 4%, LREM 3,6%, LFI 1,3%, les autres sont en dessous de 1%.
Les représentants des partis politiques, en particulier ceux des gouvernements actuels ou passés ont péroré toute la soirée sur les plateaux de télévisions, essayant de sauver les apparences, comme si rien de fondamental ne s’était passé.
LREM tentant de trouver des justifications improbables au rejet massif par les Français des politiques antisociales qu’ils mènent depuis quatre ans – la palme revenant à Laurent Pietraszewski, tête de liste dans les Hauts-de-France et secrétaire d’Etat chargé de la casse et de la privatisation du système des retraites hérité du Conseil National de la Résistance ; le RN admonestant littéralement leurs supposés électeurs de ne s’être pas déplacés, vexés de ne pas profiter du raz-de-marée annoncé ; les LR jouant la carte de leur «victoire» et du retour à la normale sans se rendre compte du côté pathétique de telles rodomontades avec si peu d’électeurs en poche ; et la gauche perdue dans son marais.
Malgré les effets de manche, personne n’a pu masquer le fait fondamental du jour : le peuple a infligé une gifle électorale monumentale à l’ensemble de la classe politique et à un système auquel ils croient de moins en moins. C’est un moment de rupture.
Les véritables efforts – bien évidemment désagréables – pour comprendre le pourquoi profond d’un tel rejet n’ont pas été faits. On préfère invectiver les Français et en particulier les jeunes, les traiter avec mépris et condescendance, en particulier les classes populaires.
Or, il est plus facile d'insulter les Français que de prendre en compte le fait que les enjeux des régionales sont opaques et largement déconnectés des intérêts des citoyens.
Alors pourquoi ?
La partielle sortie de crise du Covid n’y est sûrement pas pour rien. Les Français veulent souffler, sortir, entre amis, en famille, seuls, respirer, regarder le ciel, rire, fêter, préparer un peu les vacances d’été pour ceux qui pourront partir.
D’autant plus que chacun comprend que cette accalmie est momentanée. Un nouveau confinement à l’automne menace. Et puis surtout la crise économique, déjà présente, va s’amplifier et emporter bien des vies et des espoirs. En septembre, la rentrée sociale sera légitimement conflictuelle. Avec au moins un million de chômeurs en plus par rapport à 2019, des centaines de PME qui mettront la clef sous la porte et l’utilisation de l’arme fallacieuse de la dette par le gouvernement d’Emmanuel Macron pour casser la sécurité sociale, l’hôpital et des retraites, comment pourrait-il en être autrement ?
Alors on vit un peu en attendant, c’est bien humain.
Mais les raisons de fond, que la conjoncture ne fait que renforcer, sont politiques.
Ce scrutin révèle avec force le rejet par les Français des élections régionales et de ce qu’elles représentent. D’abord, beaucoup, et avec raison, ne comprennent pas les prérogatives concrètes de ces «grandes régions» qui ne font que diluer la responsabilité politique. D’ailleurs, pour plusieurs têtes de liste, tous partis confondus, ce n’est qu’un tremplin pour les élections nationales de 2022 ; toute la classe politique ou presque a ainsi mis en avant des projets programmatiques nationaux sans aucun rapport avec les compétences réelles des régions, ajoutant à une confusion déjà grande.
Ensuite et surtout, cette abstention massive peut être lue comme un rejet clair et net des «supers régions» elles-mêmes. Imposées par l'Union européenne et l’Allemagne, qui veut voir son système partout dans l’UE et vomit l’organisation de l’Etat français, elles ne correspondent en rien à l’histoire politique française et ne recoupent même pas les aspirations culturelles des territoires. Elles vont à l’encontre du triptyque politique français naturel : commune, département, nation, chacun de ces trois éléments étant sabordé, et en premier lieu la nation. Cette organisation territoriale ne convient pas aux Français, d’autant qu’elle s’accompagne d’une constitution de baronnies politiques européistes et déconnectées des préoccupations des citoyens.
Enfin, l'offre politique est désespérante au regard des problèmes des Français. Du RN à la France insoumise, aucune formation politique ne semble capable d’adopter une ligne qui associe politiques économiques redistributives «de gauche» (justice sociale, justice fiscale) ET politique régalienne «de droite» (sécurité, contrôle de l’immigration, respect de l’autorité).
Mais surtout et principalement, pourquoi les Français se mobiliseraient-ils pour des élections locales alors que les grandes décisions sont imposées par l'union européenne, les traités de libre-échange, les États-Unis d'Amérique, l'OTAN, le FMI, la BCE ou l'Allemagne ?
Les politiques professionnels se lamentent ou fustigent l'abstention des électeurs, mais ces mêmes électeurs, qui ne sont pas ignorants comme on tente de le faire croire sur les plateaux de télévision, savent bien que 80% des lois adoptées à l'Assemblée nationale ces dernières décennies sont des mises en conformité aux dispositions européennes ou que le budget de la France doit être d’abord validé par Bruxelles depuis la calamiteuse ratification du TSCG, le pacte budgétaire européen. Les Français voient bien que la politique énergétique de la France est largement décidée par Berlin et que le pays est en voie d’abandonner le fleuron industriel qu’est le nucléaire français car cette souveraineté et cette puissance sont insupportables à Angel Merkel.
Et puis, les Français se souviennent de la grande rupture que fut le déni de démocratie lors du dernier référendum organisé en France. Ils se sont mobilisés contre le Traité constitutionnel européen (TCE) en 2005, malgré l’appel quasi unanime de la classe politique et des médias de masse à voter OUI. Le peuple a remporté alors son référendum, et cette victoire, ce choix de leur avenir commun, leur a été volé en 2008, gauche et droite bras dessus bras dessous en violation complète de l’esprit de l’article 3 de la Constitution française.
Alors, qui est inconséquent, le gouvernement, les ex-partis de gouvernement ou le peuple ?
Nous voilà plus que jamais dans un système failli, sabordé d’abord par ses élites économiques et politiques, qui a vidé la démocratie de son sens et qui a inventé l'alternance sans alternative. Tant que le cadre économique restera le même, tant que des instances supranationales seront imposées au peuple par une caste la mascarade continuera.
Il y a un boulevard pour rendre à la France sa grandeur en lui donnant une véritable perspective pour un avenir qui ne soit pas un médiocre suivisme des décisions prises à Bruxelles, Berlin, Washington ou Wall Street.
Ce défi immense est à relever.