Sur le plan des faits, les choses sont en fait assez simples et finalement assez caractéristiques d’une méthode qui vise à faire adopter par le Parlement des textes liberticides. Mais en veillant à en faire porter la responsabilité à l’initiative parlementaire
La loi «anticasseurs» adoptée pendant le mouvement des Gilets jaunes était d’abord une initiative du Sénat portée par le Bruno Retailleau président du groupe LR. La mesure la plus critiquée consistait à donner aux préfets des pouvoirs permettant d’interdire la liberté constitutionnelle de manifestation à des individus sur simple décision administrative. Il y eut ensuite la fameuse loi Avia, attaque frontale contre la liberté d’expression, visant à imposer une censure brutale aux réseaux sociaux. Là aussi c’était une proposition de Laetitia Avia, personne n’étant dupe cependant de la présence de la main du pouvoir dans le processus. Fort heureusement, malgré un vote massif de la majorité présidentielle, le texte a été proprement déchiqueté par le Conseil constitutionnel.
C’est dans ces conditions que comme d’habitude on a demandé à deux parlementaires de se dévouer et c’est ainsi que les députés LREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, lui-même ancien policier, ont déposé à l'Assemblée nationale le 20 octobre 2020 une proposition de loi. Portant essentiellement sur le renforcement des pouvoirs de la police municipale, l'accès aux images des caméras-piétons, la captation d'images par les drones et l’interdiction la diffusion de l'image des policiers.
Fort heureusement, ce texte lui aussi liberticide a suscité rapidement de fortes oppositions. Et en particulier la fameuse mesure prévue à son article 24 interdisant de diffuser, sous peine de lourdes sanctions, des images filmées des forces de l’ordre : «Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police.»
Il n’est pas besoin d’une exégèse trop longue de ce texte pour constater à quel point cette rédaction est la porte ouverte à l’arbitraire. Sur le plan du principe de spécialité et d’interprétation restrictive de la loi pénale, comment identifier l’intentionnalité de celui qui diffuse les images. Et si c’est pour appeler l’attention de l’opinion publique sur une infraction, le diffuseur pourrait-il être poursuivi parce que la procédure pénale intentée contre les policiers frappeurs porterait atteinte à leur «intégrité psychique» ? Il est incontestable que les deux policiers de l’affaire Zecler aujourd’hui en détention subissent une incontestable épreuve psychique.
Et le plus grave et que la simple lecture démontre, c’est que l’intention n’est pas de protéger les forces de l’ordre, mais une fois de plus, en criminalisant les réseaux, de porter atteinte à la liberté d’expression et de communication. En mettant les forces de l’ordre à l’abri d’éventuelles poursuites pour des violences illégales qu’elle serait amenée à commettre. Il convient en effet de rappeler que la «violence légitime» dont l’Etat est dépositaire et que ses fonctionnaires et en particulier ses forces de police et de gendarmeries peuvent utiliser, est mise en œuvre sous le contrôle de la Justice.
L’organisation et l’utilisation des forces de l’ordre relève de la responsabilité du pouvoir exécutif, mais le contrôle de l’usage de la violence, incombe à l’autorité judiciaire. C’est si clair, que le code pénal a explicitement prévu qu’elle est plus sévèrement punies si elle a été commise par des agents publics et en particulier des policiers ou des gendarmes. Mais il faut savoir que la question de la preuve est délicate dès lors qu’il s’agit d’agents assermentés, puisque leurs dépositions ont une valeur probante supérieure au témoignage d’un simple citoyen. Or depuis plus de deux ans, le déclenchement du mouvement des Gilets jaunes et de celui relatif à l’opposition à la loi de réforme des retraites, la répression policière des manifestations a pris des formes très souvent très violentes comme l’ont d’abord justement établi des centaines de vidéos puisqu’aujourd’hui avec les smartphones n’importe qui peut filmer. Et les quelques procédures n’ont été possibles que parce qu’il existait des vidéos incontestables or, comme de nombreux observateurs l’ont relevé, y compris des syndicalistes policiers, la répression policière a «sauvé» Emmanuel Macron. Alors la période d’année pré-électorale qui s’ouvre dans une situation économique catastrophique, pourrait tout à fait déboucher sur des troubles sociaux. Il est apparu nécessaire au pouvoir d’Emmanuel Macron de protéger les forces de l’ordre non pas contre des violences auxquels pour être confronté, mais des risques judiciaires encourus du fait de leurs comportements illégaux. Il y avait de ce point de vue précis, une demande syndicale assez claire. En effet, mettre policiers et gendarmes à l’abri d’un cyber-harcèlement ne nécessite absolument pas cette interdiction. Mais simplement de mettre en œuvre les dispositifs juridiques existant permettant de poursuivre les harceleurs. Et d’ailleurs, ceux qui soutiennent ce texte sont bien sont bien en peine de fournir des exemples de diffusion qui aurait mis des policiers en danger. La référence à la terrible affaire de Magnanville (Yvelines) est simplement un mensonge.
Quant au professeur Samuel Paty, pour poursuivre et incarcérer ceux qui l’ont justement mis en danger et permis son assassinat en communiquant son nom, son lieu de travail et son adresse, il a suffi d’appliquer les textes déjà existants. Pour se convaincre de cette volonté déjà ancienne, de censure et de mise à l’abri des violences policières des poursuites judiciaires éventuelles, il suffit de se rappeler l’initiative du sénateur macroniste de l’Hérault Jean-Pierre Grand le 19 décembre 2019, présentant un amendement à la loi «Avia» contre la haine visant à réprimer lourdement la diffusion d’images de policiers intervenant dans les manifestations. Devant le tollé, l’initiative a tourné court, mais dans le camp du pouvoir personne n’en avait abandonné l’idée.
Il se trouve que cet article 24 si grossièrement attentatoire à la liberté d’expression et contraire aux articles 10 et 11 de la déclaration de droits de l’Homme a suscité une très large inquiétude et une vive désapprobation. En particulier, dans le monde de la presse et dans les organisations de défense des droits de l’Homme en France et à l’étranger. Cependant, cela n’empêcha pas les députés de la majorité d’Emmanuel Macron de voter le texte comme un seul homme rejoints par le groupe parlementaire LR et la poignée de députés du Rassemblement national. On connaît la suite, avec les trois événements qui se sont succédé et qui ont démontré le caractère liberticide du projet. Ce furent tout d’abord les incidents de la place de la République avec la violence de l’évacuation des migrants, où des forces de police tombant dans le piège, et considérant sans doute que le texte était déjà applicable se livraient sans retenue à des violences parfois spectaculaires. Il y eut ensuite la condamnation d’un commandant de police toulousain pour avoir arbitrairement arrosé de gaz lacrymogène un handicapé sur son fauteuil roulant. Le tribunal constatant que sans la vidéo reproduisant la scène la sanction de cet acte inqualifiable n’aurait jamais pu être prononcée. Et enfin la fameuse affaire Michel Zecler du nom de ce producteur de musique objet d’un tabassage en règle totalement insupportable. Chacun pouvant faire le constat d’une chose très simple : s’il n’y avait pas eu les vidéos de surveillance et des voisins, la victime aurait été poursuivie, probablement incarcérée sur les simples déclarations des policiers.
La catastrophe politique était considérable pour Emmanuel Macron. Personne en effet ne peut douter de son implication dans l’adoption de ces textes restreignant les libertés. Face à la large mobilisation qu’il n’avait pas prévue, le Premier ministre s’est encore, s’il en était besoin, complètement déconsidéré avec une proposition complètement farfelue de faire écrire la loi par une «commission indépendante». Provoquant même la colère dans les rangs des parlementaires LREM pourtant habituellement d’une docilité irréprochable.
Mais ces le président de la république qui se retrouve aujourd’hui dans une situation politique très délicate. Il a pu surmonter la crise des Gilets jaunes et les mouvements d’opposition à la loi sur les retraites grâce à la répression massive dont les participants ont été l’objet. La gestion de la pandémie si elle fut marquée par une gabegie étatique indiscutable, s’est déroulée aussi grâce à la mise en place de dispositifs particulièrement coercitifs. À ces diverses occasions, police comme justice ne lui ont pas manqué, et on suppose qu’il doit penser qu’il en aura également besoin dans l’année pré-électorale qui s’ouvre, grosse de dangers politiques et de troubles sociaux dus à la catastrophe économique. Et on peut se poser la question de savoir si ces deux piliers dont il a un pressant besoin ne serait pas en train de lui présenter la facture. Le remaniement du mois de juillet avait porté Gérald Darmanin à la tête du ministère de l’Intérieur muni d’une double feuille de route : il s’agissait d’abord de fidéliser l’électorat de droite, qui avait abandonné François-Xavier Bellamy pour le rejoindre aux élections européennes. En prenant prendre le virage que l’on a constaté sur les questions de l’islam et de l’immigration. Ensuite, donner aux forces de l’ordre les protections et les moyens matériels qu’elles réclament.
La séquence qui vient de se dérouler a fragilisé le ministre de l’Intérieur qui n’est plus la carte maîtresse que l’on imagine au départ. Le même remaniement du mois de juillet avait ouvert les portes de la place Vendôme à Eric Dupond-Moretti, avocat talentueux et médiatique détesté par le corps des magistrats. Qui ont vécu cette nomination comme une agression et ont entamé contre le garde des Sceaux, et par conséquent contre Emmanuel Macron une guérilla inquiétante pour le locataire de l’Elysée. Emmanuel Macron et ses amis sont très fragiles au plan judiciaire. De Richard Ferrand à Alexis Kohler en passant par François Bayrou, Ismaël Emelien, Jean-Paul Delevoye, Alexandre Benalla, Gérald Darmanin et quelques autres. Sans oublier bien sûr les ministres et hauts fonctionnaires exposés par les errements de la gestion de la première vague de la pandémie.
Sans le soutien de la police et de la justice, Emmanuel Macron serait évidemment affaibli.
Régis de Castelnau
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