La lettre adressée le 5 mars 2019 par Emmanuel Macron à tous les «citoyens d'Europe» via la presse des 27 pays de l'UE, est, à ce titre, un acte de communication électorale sans précédent. On relèvera qu'il s'adresse directement, par dessus la tête des chefs d'états, non pas aux citoyens des nations européennes – ce qui serait un déjà un impair – mais aux «citoyens d'Europe». Ce qui est un acte totalement idéologique. Ce faisant il est bien dans sa ligne politique post nationale et fédérale, celle d'un super état, dirigé par l’Allemagne depuis Bruxelles, tel qu'il le souhaite ; les nations, notamment la France, perdant une partie croissante et essentielle de leur souveraine liberté politique. Est-ce bien cela que les Français et les autres Européens désirent ? Et, plus encore, est-ce cette méthode qui restituera aux Français qui l'attendent si fort, leur dignité matérielle, sociale et politique ?
Avec son emphase théâtrale coutumière, Emmanuel Macron semble s'imaginer un rôle de visionnaire, leader de l'UE. C'est sans doute aller bien vite en besogne.
De quoi sa rhétorique est-elle faite ?
La situation de l'Europe n'aurait «jamais été autant en danger depuis la Seconde Guerre mondiale». Bigre…
Avant tout d'une imprécation virulente contre ce qu'il dit être les maux, les malfaisants, les périls terribles ; car la situation de l'Europe n'aurait «jamais été autant en danger depuis la Seconde Guerre mondiale». Bigre… Mais le danger ne viendrait ni de la financiarisation ni de la mondialisation, génératrices de chômage et de baisse du pouvoir d'achat, ni de l'islamisme, ni de l'immigration de masse. Non. Ce danger a plusieurs noms, désignés avec virulence : «mensonge», «irresponsabilité», «repli nationaliste», «piège qui menace l'Europe», les «exploiteurs de colère», les «fausses informations», les «manipulations», les «stratégies agressives des grandes puissances», les «géants du numérique», les «crises du capitalisme financier qui nous menacent», et surtout les «nationalistes qui se trompent en prétendant défendre notre identité», «le repli [il oublie «frileux»] et les divisions», les «menaces de cyber attaques sur les processus électoraux», les «discours de haine et de violence», «l'impasse du Brexit» et «le risque pour la paix en Irlande» (re-bigre), la «perte de l'accès au marché européen» pour les Britanniques...
De nouveaux tuyaux pour «l'usine à gaz bruxelloise»
A l'en croire les temps seraient devenus dramatiques et donc les «gentils» doivent s'unir contre les «méchants». Pourtant il reconnaît (par une habileté de Raminagrobis, pour ne pas paraître suspect d'eurolâtrie) les choses à modifier et revêt sa blouse d'instituteur : le coup du en progrès-peut-mieux-faire… Oui l'Europe est imparfaite, mais vous allez voir ; elle a déjà beaucoup fait et on va encore l'améliorer : tout comme la société française, qui ira mieux grâce à la magie de mon verbe lors du «grand débat national», l'Europe sera perfectionnée en ajoutant encore des tuyaux à l'usine à gaz bruxelloise (UAGB), pour qu'elle n'explose pas.
Au demeurant n'aurions nous pas déjà de bons résultats européens : comme la création d'une défense européenne, la protection de droits sociaux ! Est-il besoin de commenter ? Quiconque s'intéresse à la défense et à la stratégie saura qu'il s'agit d'une invraisemblable fake news. D'ailleurs un peu plus loin on rappelle, au cas où on l'aurait oublié que tout se fera «en lien avec l'OTAN», tel de surcroît qu'inscrit dans le Traité de Lisbonne. Quant à la «protection des droits sociaux», entre CSG, sur-fiscalité, baisse des services publics et de l'allocation logement, travailleurs migrants, par l'effet de quelle inconscience sa «plume» l'a-t-elle évoquée ? Pour que l'UE assure – dit-il – «liberté, protection et progrès», on rajoutera encore rien moins que vingt (20 !) nouveaux tuyaux coûteux à l'usine à gaz bruxelloise en espérant que, à défaut de la faire fonctionner, cela l'empêchera d'exploser. De nouvelles structures administratives seront créées : une «Agence européenne de protection des démocraties pour protéger (sic) les processus électoraux des différents états contre les cyberattaques»... Un «dispositif pour bannir d'internet la haine et la violence»... La «remise à plat de Schengen»… Une «Police des frontières commune»... Un «Office européen de l'asile»... Un «Conseil européen de sécurité intérieure»... Un «Traité de défense et de sécurité»... Un «Conseil de sécurité européen»... Une «réforme de notre politique de concurrence»… Une «refondation de notre politique commerciale»… Une «politique de préférence européenne»... Un «bouclier social»... Une «Banque européenne du climat» pour financer la transition écologique... Une «Force sanitaire européenne pour renforcer le contrôle des aliments»... Un «Plan d'investissement pour l'Europe»... Une «supervision européenne des grandes plate-formes» (numériques)... Une «dotation supplémentaire au nouveau Conseil européen de l'innovation»... Un «ambitieux programme de soutien [non défensif, sic] à l'Afrique»... Une «Conférence pour l'Europe»... Une «feuille de route pour l'UE»…
En résumé : la perspective déraisonnable de la dérive d'un système qui s'enfle de toujours plus d'intégration centralisée, de sur-administration coûteuse, de haut en bas, alors que les nations exigent de plus en plus fort une Europe constructale de bas en haut, bien plus démocratique et efficace.
Ce manque de lucidité et ces simplifications-dramatisations risibles conduiront nécessairement à son échec
On ne peut pas laisser dire des choses pareilles.
Depuis le traité de Rome en 1957, quel est ce système qui, en 62 ans, aurait encore tant de défauts ?Ne serait-ce pas qu'il est mal conçu ? Ou plutôt dévoyé depuis Maastricht, l'OMC, l'euro ?
Selon les estimations le coût négatif net que supportent les contribuables français pour cotiser à l'UE varie de 7 à 9 milliards d'euros/an. A quoi il faut rajouter la dévastation commerciale provoquée par l'euro et l'ouverture irresponsable des frontières, le fait que la France, seule, entretient une vraie force militaire et stratégique (nucléaire), et que le dumping fiscal toléré par Bruxelles, Luxemboug et Bercy, lui coûterait 150 milliards par an. Dans le discours jupitérien on s'en prend, aussi, sans les nommer, à Orban, Salvini. Mais pas au terrorisme islamique, ni à la sur-immigration de masse. Ni à la finance spéculative…
«L'impasse du Brexit une leçon pour nous tous» ? Cette analyse pénitentielle est indigne et à courte vue. A se demander si Barnier l'idéologue buté et May ne l'ont pas cafouillé exprès pour fabriquer un exemple à ne pas suivre. La Norvège vit très bien en dehors de l'UE dans le cadre de l'Espace économique européen, gère sans problème sa frontière avec la Suède, et les relations franco-britanniques étaient faciles avant Maastricht...
A plusieurs reprises Emmanuel Macron caricature les «nationalistes sans solution». Bonne nouvelle (?) ce manque de lucidité et ces simplifications-dramatisations risibles conduiront nécessairement à son échec. Car il n'a pas compris, ne veut ou ne peut pas comprendre, ce que demandent les nations. Il préfère dénaturer les fortes demandes pour pouvoir les dénoncer à peu de frais. Or ce sont des demandes fortes, simples, claires, légitimes, de souveraineté démocratique, de dignité sociale et familiale, d'identité culturelle.
«L'affaiblissement des composantes nationales affaiblirait toujours l'ensemble européen»
Ce prétendu «nationalisme» est-il «sans solution» ? En premier lieu si le nationalisme est une revendication agressive impérialiste il n'en existe pas trace en Europe. S'il s'agit d'un séparatisme dans une structure état-nationale il n'en existe guère si ce n'est en Écosse et en Catalogne que d'aucuns imputent de façon crédible à la politique des régions menée par Bruxelles. En second lieu, bien au contraire, il existe des projets alternatifs à une concentration accrue d'un super état libéral et fédéral dont plus personne (sauf le «vieux monde») ne veut plus. C'est tout l'inverse : la plupart des grands intellectuels et spécialistes soutiennent un projet complètement différent : l'Europe des nations. Plusieurs projets de Traités alter européens l'exposent, depuis des années, comme celui de ResPublica et Chevènement, repris par Dupont-Aignan, et que j'avais tenté de perfectionner.
Pour conclure on renverra à un ouvrage collectif d'universitaires qui vient d'être publié à la Sorbonne (Qu'est-ce qu'une nation en Europe?).
Les douze auteurs (historiens, géographes, juristes, économistes, philosophes) qui se sont penchés sur cinq pays, disent la même chose : les nations existent, elles sont cimentées par des consensus, sont des cadres naturels de vie démocratique, ont des besoins culturels, sociaux et économiques communs issus de leur histoire, et renouvelés démocratiquement, elles veulent bien s'associer dans Europe mais pas s'y dissoudre.
Et d'ailleurs l'affaiblissement des composantes nationales affaiblirait toujours l'ensemble européen.