Il y a près de deux ans, le jeune banquier prenait possession de la magistrature suprême au son de l’hymne à la joie. La joie n’a pas duré. Le président, qui se faisait fort de ré-enchanter le «rêve européen», s’est heurté à la réalité : mis à part un pan de fidèles convaincus à jamais qu’il faut «toujours plus d’Europe», le «produit» UE se vend de plus en plus mal ; les clients, dans et hors de l’Hexagone, désertent, et ce, malgré la double offensive commerciale lancée sur une colline d’Athènes puis à la Sorbonne (septembre 2017).
Il est vrai que pour ce dernier discours, le malheureux Jupiter n’a pas eu de chance avec le calendrier : il fut prononcé trois jours avant les élections outre-Rhin dont les résultats chaotiques ont vite effacé les perspectives du mythique «couple franco-allemand» enfantant une nouvelle Union européenne. Puis les affres du chef de l’Etat face à l’insurrection des Gilets jaunes – auprès desquels l’intégration européenne n’est guère en odeur de sainteté – ont achevé de reléguer les grandes ambitions initialement proclamées.
La présente missive met donc le cap sur le scrutin européen du 26 mai. Elle n’évite pas les poncifs plus vieux que le chef de l’Etat lui-même, et aussi peu crédibles : «L’Europe, projet inédit de paix, de prospérité et de liberté [...] est un succès historique [...] et continue de nous protéger aujourd’hui». Pas tant que ça, apparemment, puisque le chef de l’Etat centre son propos sur la «protection» que l’UE de demain devra, selon lui, mieux assurer. C’est la principale des trois ambitions qu’il met en avant, les deux autres étant «la liberté» (un seul paragraphe, proposant en substance de contrer l’influence russe sur les esprits des citoyens…) ; et «le progrès», au nom duquel «toutes nos institutions doivent avoir le climat comme mandat» – comme quoi Emmanuel Macron reste maître dans l’art d’inverser les concepts.
Emmanuel Macron reste maître dans l’art d’inverser les concepts
Il est vrai que c’est aussi au nom du progrès que ce dernier propose un «bouclier social» qui «garantisse la même rémunération sur le même lieu de travail». Tiens, on avait pourtant entendu que cette disposition avait déjà été obtenue de haute lutte par la France dans le cadre de la nouvelle réglementation sur le travail détaché… Taquin, le porte-parole de la Commission européenne a salué la lettre du président français, en notant que nombre de ses propositions émanaient de Bruxelles, et que certaines étaient déjà à l’œuvre…
L’insistance sur le volet «protection» traduit tout de même, de la part de l’homme qui pestait contre «le pognon de dingue» consacré aux plus démunis, une (petite) prise de conscience de l’état d’esprit populaire. Avec un certain retard cependant : la même rhétorique avait été inaugurée presque mot pour mot en 2005 par Nicolas Sarkozy (pas encore président) face à la montée du Non à la Constitution européenne. Il faut donc, selon le chef de l’Etat, «remettre à plat l’espace Schengen» (avec une menace voilée sur les pays d’Europe orientale qui ne veulent pas de migrants), mettre en place une «police des frontières commune et un office européen de l’asile» (qui existent déjà), mais aussi signer un traité de défense pur et dur ainsi qu’augmenter les dépenses militaires. Déjà, on se sent plus en sécurité…
Là où le discours de la Sorbonne vantait les frissons de l’«aventure européenne» et se prolongeait par le bras de fer que le maître de l’Elysée se faisait fort d’engager contre les «nationalistes», le même renoue aujourd’hui avec la figure de style du «en même temps», ou plutôt du «ni, ni» : ni «nationalisme tourné vers le passé», ni «piège du statu quo». Le club des partisans d’une «autre Europe », déjà plus qu’encombré, vient donc de faire une nouvelle recrue : après la refondation, le renouveau, la réorientation, voici la «renaissance» européenne.
Le club des partisans d’une «autre Europe », déjà plus qu’encombré, vient donc de faire une nouvelle recrue
L’écrit présidentiel s’efforce par ailleurs de ne pas perdre de vue le long terme. Quitte à évoquer la perspective d’un changement des traités européens, même si cette voie est aujourd’hui impraticable.
Car pour l’oligarchie, il convient de sauver coûte que coûte le principe même de l’UE qui se délite présentement de toutes parts. Celle-ci a été historiquement fondée avec l’objectif de graver dans le marbre des règles et contraintes rendant impossible l’expression de choix politiques «non conformes» de la part d’un peuple qui voudrait s’en affranchir. Bref, effacer les souverainetés nationales, quitte à inventer de toutes pièces une absurde «souveraineté européenne». Quelques jours auparavant, il avait reçu le soutien du patron de la Banque centrale européenne : Mario Draghi théorisait devant un parterre universitaire la révision du concept de souveraineté, transformé en simple capacité d’influence.
Mais chassez le naturel… Le président n’a pu s’empêcher de chanter les louanges de «la civilisation européenne» et de vanter le rôle d’«avant-garde» de l’Europe, qui seule «a toujours su définir les normes du progrès».
Le président entend pourfendre le «nationalisme». Mais pour mieux inventer l’euro-nationalisme…