Enfin Macron vint. Des années, des décennies de gauche travelo et de droite ramollo allaient disparaître dans le fracas d’une révolution aussi paisible que joyeuse, aussi dynamique que soyeuse, aussi euphorisante que marchante – et surtout pas marchande. L’Ancien Monde s’écroulait avec un bruit mou, les partis politiques traditionnels s’étaient transformés en zombies errants dans le macadam des rêves fracassés. Hollande avait achevé le Parti Socialiste, Fillon laissait aux Républicains des oripeaux d’emplois fictifs, Marine Le Pen n’arrivait pas à ébrécher le plafond de verre, tandis que Jean-Luc Mélenchon faisait comme son idole Simon Bolivar : il labourait la mer.
Comme le chantait si bien Édith Piaf : il était beau, il était blond, il sentait bon le sable chaud, mon légionnaire de Picardie. Celui-ci, vêtu de probité candide et de lin blanc, traversa le Louvre, droit dans sa tête jupitérienne et ses bottes napoléoniennes. Les médias dans leur ensemble eurent pour ce nouveau Cid les yeux de Chimène. Un banquier cool, un économiste relax, un ministre branché, un europhile convaincu, un mondialiste 2.0, un nomade planétaire : tout pour plaire. Plus de copains ni de coquins, plus de combinazione, chacun selon son mérite, on dégraisserait tous les mammouths, on remettrait le pays en marche et on ne jugerait plus que par l’excellence, la performance et la transparence. France is back, et quiconque oserait afficher un scepticisme de mauvais aloi ne révélerait que ce qu’il est : un esprit grincheux, aigri, un loser.
Et de parader avec Trump, de versailler avec Poutine, de marivauder avec Merkel, de globe-trottiner avec Brigitte. La planète, paraît-il, ne tarissait pas d’éloges, l’Union européenne se pâmait d’aise et surtout, surtout, les réformes pointaient enfin le bout d’un nez qui n’était plus faux. Code du travail, fiscalité, emploi, éducation, environnement : tous les chantiers étaient ouverts et l’Hexagone entrait victorieusement dans le XXIe siècle.
Certes, il y eut quelques couacs : de petits abus côté Ferrand, des jobs plus ou moins imaginaires chez Bayrou, des promesses faites à Borloo, quelques petits arrangements entre amis...
Certes, il y eut quelques couacs : de petits abus côté Ferrand, des jobs plus ou moins imaginaires chez Bayrou, des promesses faites à Borloo, quelques petits arrangements entre amis et surtout l’apparition de quelques étranges mannequins de la République En Marche, dont l’acuité et le sens de la répartie n’éblouirent pas vraiment de prime abord. On pouvait mettre cela sur le compte de la nouveauté, de l’inexpérience, très largement compensées par l’enthousiasme et la volonté d’agir.
Puis survint cet été horribilis : un garde du corps aussi polyvalent qu’un couteau suisse, Alexandre Benalla, dont les fonctions allaient bien au-delà d’un bagagiste pour Coupe du monde de football. Un ministre fétiche, Nicolas Hulot, qui après avoir longtemps menacé de claquer la porte, n’est même pas venu dire à son patron qu’il s’en allait. Une valse-hésitation sur le prélèvement à la source, digne des meilleurs tangos argentins. Des récompenses affriolantes accordées à un écrivain courtisan que l’on envoie directement de Paris à Los Angeles. La réintégration d’une fonctionnaire qui avait dû successivement quitter l’INA et le centre Georges Pompidou pour détournement d’argent public et qui se retrouve en tête de gondole au ministère de la Culture. Une ex-ministre du gouvernement d’Edouard Philippe démissionnaire pour quelques transactions plus ou moins légales, repêchée miraculeusement à la Banque de France, j’en passe et des plus croquignolets.
Le doute s’installe : l’homme de tous les talents deviendrait-il celui de toutes les hésitations ? Celui qui voulait nettoyer les écuries d’Augias se retrouve-t-il obligé de balayer devant sa porte ?
Le doute s’installe : l’homme de tous les talents deviendrait-il celui de toutes les hésitations ? Celui qui voulait nettoyer les écuries d’Augias se retrouve-t-il obligé de balayer devant sa porte ? Et le pire : Macron, à l’insu de son plein gré, se hollandiserait-il ? Benalla serait-il sa Léonarda ? Des mécènes qui l’ont porté sur les fonts baptismaux aux retraités qui ne savent plus comment boucler leur fin de mois, ils sont nombreux aujourd’hui à se demander si – horreur –, il y aurait peut-être eu une erreur de casting. Ne condamnons pas trop vite et laissons, comme disait François Mitterrand, admirable stratège s’il en fut, du temps au temps.