L’essai nucléaire conduit par la Corée du Nord hier matin est lourd de significations.
Survenant après le survol du Japon par un missile nord-coréen le 29 août dernier, il démontre que Kim Jong-un est déterminé à poursuivre le bras de fer qui l’oppose à Donald Trump, sans se laisser impressionner par les multiples tentatives d’intimidation américaines. L’envoi d’un groupe aéronaval de l’US Navy en mai dernier au large de la péninsule coréenne, les simulations de frappes conduites sur zone, le même mois, par des bombardiers stratégiques américains B-1B, n’ont pas eu plus d’effet dissuasif vis-à-vis de Pyongyang que les récentes manœuvres conjointes de l’armée sud-coréenne et de ses alliés américains.
Ce test signifie, aussi, que la Corée du Nord accélère le rythme de son programme nucléaire et balistique. Avec un deuxième essai nucléaire, en deux ans, des essais de missiles de plus en plus fréquents et aboutis, le pays prouve qu’il a, chaque jour davantage, les moyens de ses ambitions atomiques.
L'éventualité d’une frappe préventive américaine, qui aurait sans doute des conséquences dramatiques, et ce bien au-delà de la péninsule coréenne, semble de moins en moins invraisemblable
Il met, enfin, les Etats-Unis et les principales puissances de la région – Japon, Corée du Sud, Chine, Russie – dans l’embarras. Puisque les menaces ne semblent guère plus efficaces que les sanctions successives contre la Corée du Nord, les options susceptibles d’amener celle-ci à composition semblent de plus en plus restreintes. L’éventualité d’une frappe préventive américaine, qui aurait sans doute des conséquences dramatiques, et ce bien au-delà de la péninsule coréenne, semble de moins en moins invraisemblable.
Il faut cependant relativiser cette nouvelle provocation de Kim. La propagande nord-coréenne assure que le pays a testé hier une bombe H, laquelle est dès à présent susceptible, via un programme de développement de tête miniaturisée, d’être adaptée à un missile intercontinental (ICBM) capable de frapper le territoire des Etats-Unis. Or rien ne le prouve.
En premier lieu parce que la Corée du Nord a beau accélérer le tempo, on ne passe pas si aisément de la bombe A à la bombe H.
Il a fallu 30 essais et huit années avant que la France du général de Gaulle, nation pionnière de l’atome, en plein boom économique et disposant de moyens industriels et scientifiques bien supérieurs à ceux de la Corée du Nord, ne se dote de l’arme thermonucléaire
L’essai qui a eu lieu hier a été, selon les sources, six à dix fois plus puissant que le tir de septembre 2016, le plus puissant jusqu’ici réalisé par le régime communiste, estimé à dix ou 20 kilotonnes, l’équivalent d’une bombe A américaine de 1945. L’engin testé aurait une puissance de 80 à 120 kilotonnes. Or Américains, Russes et Français ont eu besoin de bien plus d’efforts que la Corée du Nord – qui a conduit six essais, dont certains sujets à caution, en onze ans – pour atteindre le stade de la fusion nucléaire. Il a fallu 30 essais et huit années avant que la France du général de Gaulle, nation pionnière de l’atome, en plein boom économique et disposant de moyens industriels et scientifiques bien supérieurs à ceux de la Corée du Nord, ne se dote de l’arme thermonucléaire. Sept années et 33 essais aux Américains, six ans et 25 essais aux Soviétiques. La signature de la bombe H est sa puissance. La majorité des Etats nucléaires ont atteint des niveaux allant de plusieurs centaines de kilotonnes à plusieurs mégatonnes lors de leur premier essai d’une bombe thermonucléaire. Pyongyang en est loin. La Chine n’a eu besoin que de trois ans pour passer de la fission à la fusion. Mais sa première bombe H – 3,3 mégatonnes – était d’une toute autre capacité.
Par ailleurs les déclarations nord-coréennes selon lesquelles le pays serait en mesure de miniaturiser une arme thermonucléaire et de frapper les Etats-Unis à l’aide d’un missile balistique intercontinental (ICBM), sont à considérer avec la plus extrême prudence.
Certes, Pyongyang a fait des progrès sensibles récemment. Alliée à l’usage de transporteurs érecteurs lanceurs (TEL) permettant de déplacer sans cesse les missiles et de les soustraire à une frappe préventive, la maîtrise des combustibles solides permet désormais aux nord-coréens de lancer leurs engins sur préavis court, ce qui accroît encore leurs chances de survie.
Les ingénieurs nord-coréens, jusqu’à preuve du contraire, ne maîtrisent pas les corps de rentrée complexes, associant MIRV et leurres hypermanœuvrants
Mais une tête nucléaire, c’est un mécanisme d’horlogerie suisse en mesure de supporter une série d’agressions physiques extrêmement violentes – accélération au lancement, transit au-delà des mach 20, rentrée dans l’atmosphère – et de mettre en œuvre dans le bon tempo (et au bon endroit) les mécanismes permettant le déclenchement de l’explosion, soit, dans le cas d’une arme thermonucléaire, une phase de fission provoquant la phase de fusion. Simple sur le papier, extrêmement complexe dans les faits. De surcroît, les ingénieurs nord-coréens, jusqu’à preuve du contraire, ne maîtrisent pas les corps de rentrée complexes, associant mirvage [technique dans le domaine de l'armement militaire qui permet d'équiper un missile de plusieurs têtes qui suivent chacune leur trajectoire lors de leur entrée dans l'atmosphère] et leurres hypermanœuvrants. Quant au caractère opérationnel à ce jour d’un ICBM nord-coréen, il reste à démontrer, même s’il n’est plus qu’une question de temps.
Encore rustiques, les systèmes nord-coréens ne mettent pas Pyongyang dans une situation de parité avec les puissances atomiques majeures, qui disposent non seulement de moyens de riposte en mesure de rayer la Corée du Nord de la carte en quelques secondes, mais aussi de systèmes antimissiles balistiques (ABM) crédibles face à des armes encore élémentaires.
La Corée du Nord représente, selon les termes du Président Poutine une «menace réelle» pour la sécurité en Extrême-Orient. Isolée, condamnée par la Russie, la Chine et l’ensemble de la communauté internationale, elle peut, se sentant acculée, choisir d’aller au bout de sa stratégie du fou. Jusqu’à risquer la guerre avec les Etats-Unis. C’est cependant le cas de figure le moins envisageable.
Ce que veut Kim, c’est avant tout pérenniser son régime, le mettre définitivement à l’abri d’un sort semblable à celui de Saddam Hussein et de Kadhafi, lesquels ont commis l’erreur de ne pas mener à bien le programme atomique qui les auraient prémuni contre une intervention américaine. Doté d’une force de dissuasion embryonnaire, mais suffisamment crédible pour imposer une désescalade, il n’est pas exclu qu’il manifeste plus de flexibilité vis-à-vis des pressions extérieures pourvu qu’elles ne remettent pas en cause le règne de sa dynastie stalinienne.
Une frappe américaine, sur un pays frontalier de la Russie et de la Chine, serait par ailleurs le plus sûr moyen de resserrer les liens entre Moscou et Pékin contre Washington
Nous sommes donc à un moment charnière.
Si les Etats-Unis ne parviennent pas, par la pression, à contraindre la Corée du Nord à renoncer à son arsenal atomique et qu’ils frappent, les pires scenarii sont envisageables dans la région. Doté de centaines de missiles à courte et moyenne portée, d’armes chimiques et, peut-être, radiologiques, Pyongyang peut s’enferrer dans une logique suicidaire et faire de la Corée du Sud et du Japon un champ de ruines en représailles. Une frappe américaine, sur un pays frontalier de la Russie et de la Chine, serait par ailleurs le plus sûr moyen de resserrer les liens entre Moscou et Pékin contre Washington.
Mais si la Maison Blanche décide de demeurer dans l’expectative, la Corée du Nord disposera peut-être d’ici la fin du mandat de Donald Trump de l’arsenal lui garantissant l’immunité. Ce qui encouragera tous les Etats désireux de se doter de leur propre force de dissuasion et disposant de moyens financiers et/ou scientifiques conséquents à passer aux actes. En Extrême-Orient le Japon, pays du seuil atomique, pourrait être tenté d’assurer par lui-même sa sécurité en brisant le tabou de l’atome.
La solution est sans doute dans une pression ferme et concertée des puissances majeures. Seul un front commun de la Chine, de la Russie et des Etats-Unis, signifiant avec force et unité à la Corée du Nord que la spirale des provocations n’est plus acceptable pourra, peut-être, amener Kim à composer. Mais il faudra pour cela lui donner des assurances quant à la survie de son régime. Il faudra, surtout, que Russes, Chinois et Américains soient capables de dialoguer entre eux sur un pied d’égalité et, éventuellement, de faire des concessions dans d’autres dossiers pour régler celui-ci. Une hypothèse, à ce jour, des plus improbables...
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