On peut se réjouir de la façon dont la première rencontre entre les présidents russe et américain s'est déroulée vendredi 7 juillet à Hambourg. Le langage du corps était positif des deux côtés, le courant semblait passer entre les deux hommes et les discussions ont duré deux heures et vingt minutes, beaucoup plus longtemps que prévu.
La Russie post-soviétique croit à des relations internationales pragmatiques, libérées de l'idéologie. Or, Obama ne s'était aucunement affranchi de l'idéologie progressiste.
Cette réunion marquera peut-être le début d'un renouveau de la collaboration russo-américaine que le candidat Trump avait appelé de ses vœux à plusieurs reprises. Le contraste est en tout cas flagrant avec la froideur évidente qui existait entre Barack Obama et Vladimir Poutine. Entre l'ascétique de gauche et l'homme d'affaires bon vivant de droite qui se profile comme un homme du peuple, on voit tout de suite lequel des deux Poutine préfère. Pour une simple raison : la Russie post-soviétique, et surtout post-elstinienne, croit à des relations internationales pragmatiques, libérées de l'idéologie. Or, Obama ne s'était aucunement affranchi de l'idéologie progressiste. Au contraire, il en était l'incarnation parfaite.
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L'Occident peut-il réussir à s'affranchir de l'idéologie comme la Russie, et peut-être aussi la Chine, y sont parvenues ?
Ce refus de l'idéologie est profondément ancré dans la philosophie politique de Vladimir Poutine. Déjà en 2007, Poutine attaquait Lénine devant le Club Valdaï. Le président russe avait affirmé que l'approche idéologique du dirigeant bolchevique et surtout son attachement à une révolution mondiale faisaient que la politique étrangère russe n'était plus dirigée vers le renforcement des fondements intérieurs du pays, comme cela avait été le cas sous les tsars. Vladimir Poutine comprend à quel point l'idéologie, en l'occurrence communiste, a conduit son pays à la catastrophe et il voit que le même processus est en train d'avoir le même effet en Occident, avec cette fois le développement de l'idéologie libérale du mondialisme et des droits de l'homme. Il l'a dit, d'ailleurs, toujours à Valdaï, mais en 2013 quand il a fait un lien entre l'abandon des valeurs chrétiennes en Occident, la crise démographique et le renforcement d'un monde unipolaire : «Nous observons des tentatives pour faire revire le modèle standardisé d'un monde unipolaire et pour brouiller les institutions du droit international et de la souveraineté nationale. Un tel monde unipolaire, standardisé, n'a pas besoin d'Etats souverains, il a besoin de vassaux. Historiquement, cela représente un rejet de sa propre identité et de la diversité mondiale donnée par Dieu.»
Donald Trump se profile comme un homme du peuple arrivé à Washington pour bouleverser l'élite politique
L'Occident peut-il réussir à s'affranchir de l'idéologie comme la Russie, et peut-être aussi la Chine, y sont parvenues ? Il est permis d'en douter. Donald Trump se profile comme un homme du peuple arrivé à Washington pour bouleverser l'élite politique. C'est l'un des contes de fées que les Américains se plaisent à se raconter depuis au moins Monsieur Smith au Sénat(Mr. Smith goes to Washington), le film de Frank Capra tourné en 1939 avec James Stewart, et qu'Hollywood recycle, sous des formes différentes, avec une régularité préoccupante, retraçant le parcours d'un petit héros qui se rebelle contre un establishment dominateur et sinistre.
La réalité est tout autre. Les premiers mois de la présidence Trump ont montré à quel point il était inutile d'évoquer un «Etat profond» qui aurait pris le dessus sur le nouveau locataire de la Maison Blanche : c'est l'Etat tout court qui le fait. On n'a pas besoin de spéculer sur le rôle subversif des services secrets – dont les positions anti-Trump sont d'ailleurs tout sauf secrètes – car l'actuelle administration est en réalité l'otage d'un Congrès hostile et vit sous la tutelle du Pentagone.
Pour le 45e président américain, la menace principale pesant sur l'Europe, ce sont «les puissances qui cherchent à éprouver notre volonté, à affaiblir notre confiance, à défier nos intérêts»
Le président américain, pour sa part, ne semble avoir ni les capacités intellectuelles ni morales pour relever le défi que constitue la «désidéologisation», ce qui veut dire faire preuve de pragmatisme, in fine l'art du politique. Certes, c'est un nouveau venu dans le club des puissants qui n'a pas les dix-sept années d'expérience de Vladimir Poutine. Mais on ne peut qu'être frappé par le décalage préoccupant entre la grandiloquence de son discours à Varsovie sur la défense des valeurs et le vide abyssal de son contenu. Même s'il s'est fait applaudir au moment où il a loué les valeurs de la résistance et de l'héroïsme.
Mais quelles sont, au fait, les menaces auxquelles l'Occident serait confronté, comme la Pologne a été confrontée à deux armées d'occupation pendant la Deuxième Guerre mondiale ? L'islam ? Donald Trump ne l'a évoqué qu'une seule fois. La Russie ? Il l'a critiquée une fois pour son rôle en Ukraine et en Syrie. Mais pour le 45e président américain, la menace principale pesant sur l'Europe, ce sont «les puissances qui cherchent à éprouver notre volonté, à affaiblir notre confiance, à défier nos intérêts». La seule parmi ces «puissances» que Trump a nommée est celle de la «bureaucratie, qui sape la vitalité et la richesse du peuple». Faut-il conclure que si on perd confiance en soi, c'est à cause de «puissances» ? Qu'une résistance à la bureaucratie est comparable à l'Insurrection de Varsovie ? C'est bien évidemment du grand n'importe quoi, car l'évocation anxiogène de menaces non-définies et tous azimuts qui guetteraient l'héroïsme intrinsèque des peuples revient à ne rien dire.
La vantardise et la versatilité de Trump, qui étaient peut-être des atouts pendant la campagne électorale, lui sont absolument fatales en politique étrangère
Quel contraste avec la tonalité du sommet sino-russe qui s'est tenu à Moscou les 3 et 4 juillet, juste avant le G20 de Hambourg. Xi Jingping et Vladimir Poutine sont deux vieux pros de la politique qui ont géré et encouragé la désidéologisation de leurs pays respectifs. Certes, la brutalité et l'arbitraire du régime chinois restent choquants. Mais quand on regarde la façon dont les deux dirigeants règlent des problèmes spécifiques, comme celui de la Corée du Nord ou de l'approvisionnement énergétique, on a l'impression que ce sont deux personnes prudentes et fiables. Ces deux qualités manquent cruellement à Donald Trump dont les deux heures passées avec Poutine ne remplaceront pas les deux jours de Xi Jinping. Il est beaucoup trop tôt pour parler de la fin de la domination américaine, même face à la montée de cet axe sino-russe. Mais une chose est sûre : la vantardise et la versatilité de Trump, qui étaient peut-être des atouts pendant la campagne électorale, lui sont absolument fatales en politique étrangère.
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