RT France : Emmanuel Macron a confié dans une interview à sept journaux européens vouloir abandonner la logique néo-conservatrice dans la politique étrangère française. Cela constitue-t-il un virage ?
Philippe Grasset (P. G.) : Oui ! Mais il faut, évidemment, d’abord voir comment un tel virage va être opéré. Il est certain que ce qu'Emmanuel Macron a dit était absolument révolutionnaire : il a parlé d'aggiornamento, il a annoncé que le départ de Bachar el-Assad n'était plus une condition préalable au règlement du conflit en Syrie. C’est révolutionnaire, parce qu’il dit que la France avait eu raison de ne pas participer à la guerre de l’Irak et tort de s'impliquer en Libye. Ça l'est encore plus lorsqu’Emmanuel Macron dit qu’il ne veut pas de logique néo-conservatrice. Jamais un chef d’Etat ou de gouvernement n’a parlé de la politique «néo-con». C’était auparavant une sorte de fantasme. Emmanuel Macron reconnaît que cela a existé, qu'on a suivi cette politique et affirme ne plus vouloir la suivre. C’est symboliquement très fort. C’est une transformation de type copernicien.
Rien ne laissait penser qu’Emmanuel Macron prendrait cette direction
Il y a un deuxième volet, qui concerne les relations avec la Russie. Quand on voit la diabolisation générale dont fait l’objet le président russe depuis quatre ans, depuis le début de la crise ukrainienne, et quand on voit ce qu’en dit Emmanuel Macron, on est forcé d'admettre que cela est aussi révolutionnaire. Pour l’instant, on ne peut en dire plus. Mais, quoi qu'il en soit, les échanges ont déjà commencé, avec le voyage du ministre français des Affaires étrangères à Moscou et la visite de son homologue Sergueï Lavrov en France. Les choses se mettent donc en place, mais il nous faut observer la suite des événements.
Pour moi, c’est une surprise absolue, rien ne laissait penser qu’Emmanuel Macron prendrait cette direction.
Il y a une correspondance entre l’élection de Macron et l’évolution, dans un désordre total, de la politique américaine
RT France : Comment expliquez-vous ce virage ? Est-ce lié à la personnalité du président américain Donald Trump ? Emmanuel Macron entendrait-il prendre le rôle de «leader du monde libre» ?
P. G. : Les deux sont liés. L’immense événement, c’est l’élection de Trump et tout ce qui a accompagné son élection. Le pouvoir américain est dans une crise profonde. Plus personne ne peut savoir ce que c’est la politique américaine, l’Occident a perdu son boussole, son gouvernail. L’Occident ne sait plus où il va. Dire qu’Emmanuel Macron veut prendre la place de «leader du monde libre» ne me paraît pas être le fond du problème. Le fait est que les Occidentaux se retrouvent sans gouvernail et se tournent donc vers une autre puissance qui permet une autre politique. Et cette puissance est la Russie. Emmanuel Macron va sans doute aller dans le sens d'un axe franco-russe et se dégager de la politique «néo-con» des Etats-Unis. Je ne sais pas si cela est pensé ou calculé mais il y a une correspondance entre l’élection de Macron et l’évolution, dans un désordre total, de la politique américaine.
Si Emmanuel Macron développe une telle politique, il va se trouver en contradiction avec l’Europe et sa politique bureaucratique anti-russe
RT France :La France faisant partie de l’OTAN, pensez-vous qu'il soit possible qu’elle mène une politique indépendante du bloc nord-atlantique et des Etats-Unis ?
P. G. : Aujourd’hui, tout est possible. Y compris que la France, tout en restant membre de l’OTAN, mène une politique quasiment anti-otanienne. Même au niveau européen, une telle doctrine n'irait pas sans poser de problèmes. Si Emmanuel Macron développe une telle politique, il va se trouver en contradiction avec l’Europe et sa politique bureaucratique anti-russe. On vit dans un univers où la communication est tellement importante et la compartimentation des choses est tellement grande que des mouvements complètement contradictoires peuvent être suivis parallèlement.