De l'hystérie du piratage à Washington – qu’en dirait Freud ?

«Discréditée et démasquée», la «machine Washington», avec sa longue histoire d'ingérence dans les affaires intérieures d'autres pays, est en train de «projeter les mêmes agissements honteux sur la Russie», affirme le journaliste John Wight.

Le Parti démocrate et ses partisans au sein de l'establishment politique de Washington ont beaucoup de mal avec le concept de démocratie.

Depuis qu'ils ont perdu l'élection présidentielle américaine, ils essayent en vain de rendre responsables la Russie, WikiLeaks, Jill Stein, leur propre collège électoral, tout et tout le monde... sauf les gens qui ont décidé de voter Donald Trump plutôt qu'Hillary Clinton le 8 novembre.

Pour cela, ils bénéficient du soutien de la CIA et, affirment-ils, de seize autres agences qui composent la déborante communauté du renseignement du pays. Pour faire une parenthèse ici : que font exactement ces dix-huit agences de renseignement différentes ? Quel que soit leur rôle, il n'a pas beaucoup à voir avec la lutte contre le terrorisme, contre l'essor de Daesh et d'Al-Qaïda ces dernières années. Peut-être étaient-ils trop occupés à se mêler des affaires intérieures d'autres pays pour lutter contre le terrorisme ?

Si l'on suit les annales de l'Histoire, l'ingérence dans les affaires intérieures d'autres pays est précisément ce à quoi elles se sont affairées. Leur ignoble histoire a été documentée en octobre, dans les pages du Washington Post, le journaliste Ishaan Tharoor nous rappelant le rôle de Washington lorsqu'il s'était agit «d'interférer et parfois de mettre un terme au fonctionnement des démocraties».

Comme il l'écrit, «ils [les Etats-Unis] ont occupé et sont intervenus militairement dans un grand nombre de pays des Caraïbes et d'Amérique latine et ont fomenté des coups d'Etat contre des populistes démocratiquement élus.»

Le fait est que les Etats-Unis se sont donné le privilège d'interférer dans les affaires intérieures d'autres pays au fil des générations en fonction de leurs propres intérêts stratégiques et géopolitiques

«Les épisodes les plus infâmes incluent l'éviction du Premier ministre iranien Mohammad Mossadegh en 1953 – dont le gouvernement a été remplacé par une monarchie autoritaire favorable à Washington –, l'enlèvement et l'assassinat du chef de gouvernement congolais Patrice Lumumba en 1961 et le renversement violent du président socialiste chilien Salvador Allende, dont le gouvernement a été balayé en 1973 par un coup militaire dirigé par le génial Augusto Pinochet.»

Ce qui est omis, dans le bref historique tracé par Ishaan Tharoor, est la plus récente implication des politiciens et des fonctionnaires du gouvernement américain dans le coup d'Etat qui a renversé le gouvernement ukrainien démocratiquement élu de Victor Ianoukovitch début 2014. Imaginez la fureur qui aurait été déchaînée si les responsables et les politiciens russes avaient osé faire quelque chose de semblable au Mexique ou au Canada.

Le fait est que les Etats-Unis se sont donnés l’avantage d'interférer dans les affaires intérieures d'autres pays au fil des générations, en soutenant et/ou en organisant coups d'Etat militaires, fraudes électorales, financements secrets de campagnes politiques, groupes et partis à travers le monde en fonction de leurs propres intérêts stratégiques et géopolitiques.

L'auteur et historien américain William Blum le dit ainsi : «Les Etats-Unis ne sont pas concernés par cette chose qu’on appelle "démocratie", peu importe combien de fois chaque président américain utilise ce mot à chaque fois qu'il ouvre la bouche... Depuis 1945, les Etats-Unis ont tenté de renverser plus de cinquante gouvernements, dont la plupart avaient été élus démocratiquement, et ont interferé dans des élections démocratiques dans au moins trente pays.»

Concernant les allégations précises (et l'hystérie qui en a résulté) autour du prétendu piratage des serveurs informatiques des fonctionnaires du Parti démocrate par la Russie, aucune preuve concrète n’a pour l’heure été fournie. A la place, tout ce que nous avons sont de simples affirmations. D’autre part, en attendant, l'ancien ambassadeur britannique Craig Murray, le fondateur de WikiLeaks Julian Assange, l'ancien officier de la CIA Ray McGovern et un groupe d'anciens officiers du renseignement américain et de responsables connu sous le nom de Veteran Intelligence Professionnels for Sanity (VIPS) contredisent les allégations de piratage. Ces derniers affirment que les courriels en question n'ont pas été piratés par la Russie mais qu'ils ont été divulgués depuis Washington.

Etant donné sa longue histoire d'ingérence dans la démocratie d'autres pays, sommes-nous face à la machine Washington, démasquée, projetant les mêmes agissements honteux sur la Russie ?

Dans une récente interview avec Sean Hannity de Fox News, lorsqu'il lui a été demandé si la Russie ou quelqu'un d’associé à la Russie avait fourni à WikiLeaks les courriels, Julian Assange a déclaré : «Notre source n'est pas un Etat. Donc la réponse [...] est non.»

Plus tard, dans la même interview, Hannity lui a demandé : «Pouvez-vous dire au peuple américain sans équivoque que vous n'avez pas reçu cette information sur le DNC [Comité national démocrate], ces courriels de John Podesta ? Pouvez-vous dire au peuple américain qu'il est sûr à 1 000% que vous ne les avez pas obtenu de la Russie ?» Julian Assange y a répondu : «Nous pouvons dire et nous avons dit à plusieurs reprises au cours des deux derniers mois que notre source n'était pas le gouvernement russe et que ce n'était pas un Etat.»

Cela, bien sûr, soulève la question de savoir qui aurait pu divulguer les courriels et pour quelle raison. Là, Sean Hannity a cité à Assange l’affirmation de son ami, l'ancien ambassadeur britannique, Craig Murray, d’après lequel quelqu'un avec qui Julian Assange «est ami» avait «reçu ces documents dans une université américaine, dans une zone boisée, de la part d’un démocrate mécontent qui se sentait trahi car ces divulgations montraient que Bernie Sanders avait été trahi et car il n’appréciait pas la corruption de la Fondation Clinton».

Julian Assange n'a ni confirmé ni nié la véracité de cette affirmation.

Cela nous laisse donc réfléchir aux motifs des accusations portées contre la Russie. Ce faisant, il est difficile d'échapper à la notion freudienne de projection ; en d'autres termes, «l'opération mentale par laquelle une personne attribue à quelqu'un d'autre ses propres sentiments, dans le but de se sortir d'une situation émotionnelle vécue comme intolérable – trop honteuse, trop indécente, trop dangereuse – par elle».

Etant donné sa longue et honteuse histoire d'ingérence dans la démocratie et dans les affaires intérieures et souveraines d'autres pays, sommes-nous face à la machine Washington, discréditée et démasquée, en train de projeter les mêmes agissements honteux sur la Russie ?

Question rhétorique.

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