Charniers civils à Alep : le discours officiel servi à la population européenne est «monomaniaque»

Horrifié par la découverte macabre de fosses de civils torturés dans un ancien quartier tenu par l'opposition, le député Nicolas Dhuicq analyse le quasi silence autour d'elle comme le reflet du traitement manichéen et à sens unique de la Syrie.

RT France : Plusieurs charniers ont été découvert hier à Alep par la Défense russe dans une prison administrée par les rebelles. Les premières analyses ont montré la présence d'une vingtaine de corps dont des femmes et des enfants, la plupart avec des traces de tortures. Cette découverte est-elle étonnante?

Nicolas Dhuicq (N. D.) : J'ai tout d'abord eu une réaction d'effroi, comme à chaque fois que l'on a des révélations macabres de ce type, quelles que soient les personnes qui ont été massacrées. Mais cela ne m'étonne pas. L'histoire de la rébellion et de la guerre civile en Syrie est celle de l'islamisation très rapide. Je ne suis donc pas étonné qu'avant de partir ces gens aient réglé les comptes et éliminé toutes les personnes qu'ils souhaitaient éliminer.

Certaines victimes sont recevables pour la doxa officielle. Les autres, il vaut mieux ne pas en parler

RT France : Alors que la découverte des charniers de civils à Srebrenica avait entraîné une vague d'indignation en Europe, il n'y a eu quasiment aucune réaction politique pour ceux-ci et une simple dépêche AFP reprise par une poignée de médias français. Comment expliquer cela ?

N. D. : Je pense que malheureusement il y a une espèce de doxa officielle ou d'idéologie dominante dans les médias principaux qui fait qu'il y a les bons et les mauvais. Personne n'a parlé des victimes d'Alep-ouest ciblées par les obus des islamistes. On évoquait automatiquement et uniquement celles d'Alep-est. Avec les charniers, on constate le même traitement. Certaines victimes sont recevables pour la doxa officielle. Les autres, il vaut mieux ne pas en parler parce qu'elles remettent en cause l'idéologie dominante.

Il faudra du temps pour reconnaître l'action positive de la Russie dans la guerre en Syrie

RT France : De l'armement lourd et de nombreuses mines ont également été trouvés dans les anciens quartiers tenus par l'opposition à Alep-Est. Toutes ces révélations peuvent-elles permettre d'en finir avec la rhétorique des «rebelles modérés» ?

N. D. : Laisser des explosifs pour tuer un maximum de combattants de l'autre camp est une tactique courante en guerre urbaine. En ce sens on voit que les dits-rebelles, c'est-à-dire pour moi les islamistes, savent très bien utiliser les techniques que l'on a connues dans bien d'autres conflits. Je pense notamment à l'Afghanistan ou au Vietnam, quelles que soient les puissances combattantes à l'époque. Il y aura un énorme travail pour déminer entièrement la Syrie, comme toujours dans ce type de conflit. Il est quasiment certain malheureusement que d'autres charniers soient découverts. Les islamistes, qui ne tolèrent que ceux qui leur ressemblent et considèrent que ceux qui ne leur ressemblent pas doivent être transformés en esclaves ou décapités, ont certainement mené des exactions multiples dans les zones qu'ils contrôlaient. Il faut s'attendre à d'autres découvertes. Cela pourra jouer sur les mentalités.

Je pense qu'une partie de la population européenne va commencer à se rendre compte que le discours qu'on leur a servi était singulièrement monomaniaque, orienté dans un seul sens avec un camp du bien et un camp du mal. Elle va progressivement prendre conscience que, quelle que soit la nature du régime de Bachar Al-Assad, il n'y avait pas intérêt à ce qu'il tombe sinon c'était un massacre généralisé et une déstabilisation du Moyen-Orient qui aurait dépassé la Syrie et touché également le Liban et la Jordanie qui accueillent un grand nombre de réfugiés. Malheureusement, il restera toujours des personnes qui auront du mal à admettre et reconnaître la vérité. On a pu voir l'exemple du massacre de Katyn durant la Deuxième Guerre mondiale dans l'histoire de la grande guerre patriotique russe et dans celles de ses relations avec la Pologne. L'armée rouge, après les accords germano-soviétiques, a massacré tous les jeunes officiers polonais. Il a fallu des années pour reconnaître cette réalité. Je pense qu'il en sera de même à Alep : il faudra du temps pour reconnaître l'action positive de la Russie dans la guerre en Syrie, admettre la grande complexité de la situation et que les médias principaux et la pensée dominante changent et comprennent qu'ils se sont trompés.

L'enjeu de l'élection présidentielle sera de savoir si la diplomatie française reviendra enfin à un principe de réalité

RT France : Le destin d'Alep risque-t-il d'être désormais passé sous silence en attendant cette prise de conscience ?

N. D. : L'immense majorité des populations européennes est d'abord concernée par ses problèmes immédiats : l'emploi et l'économie. Les préoccupations de ces populations autour de la guerre en Syrie sont très variables car tout cela parait malheureusement très lointain. Leur faire comprendre que notre avenir se joue aussi là-bas, c'est le travail que nous essayons de faire avec quelques parlementaires. Mais vis-a-vis des hommes politiques, je pense que ce sera tout l'enjeu des élections présidentielles. A savoir si la diplomatie française reviendra enfin à un principe de réalité. Si elle cessera le suivisme à la fois de la doctrine Brzezinski en Europe centrale et de la vision des néo-conservateurs américains. Même s'il ne faut pas encenser Donald Trump sur des promesses qu'il n'a pas encore tenues, c'est tout l'intérêt de son élection. Elle représente la fin de la doctrine des néo-conservateurs américains. C'est toute la question à venir en France ces prochains mois : est-ce que la diplomatie française reprendra son rôle et nouera des partenariats avec des pays comme la Russie ou est-ce qu'on continuera à avoir, comme on dit, un métro de retard.

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