Le petit théâtre trompeur de la course à l’Elysée

Comme le montrent les difficultés des mouvements sociaux, tout candidat à la présidence de la République qui prétendrait changer la donne sans s’engager sur une sortie de l’UE trompe les électeurs, affirme Pierre Lévy.

Fin de partie pour François Hollande, compte-à-rebours pour Manuel Valls. Le président ne briguera pas un deuxième mandat. Son actuel Premier ministre s’apprête à officialiser sa candidature à la primaire socialiste.

Ces péripéties ont provoqué un double tsunami médiatique en France – émissions spéciales sur les grandes chaînes, cahiers entiers dans la presse écrite – sans commune mesure avec l’importance réelle de ces événements.

Car cet abandon et ce remplacement ne changent pas les données fondamentales de la course électorale à l’Elysée. D’ailleurs, dans les rues parisiennes, comme sur la place principale des petits villages provinciaux, nul n’a assisté au spectacle d’hommes ou de femmes s’effondrant de désespoir, pas plus d’ailleurs qu’à des scènes de liesse populaire…

Pour s’en tenir au plan économique et social, les orientations mises en œuvre sous le règne hollandais ont été en tous points conformes aux souhaits du patronat

Quant aux causes de la défection du chef de l’Etat sortant, il n’est pas besoin d’être un expert en sciences politiques pour les entrevoir. En l’espace de cinq ans, le nombre de chômeurs s’est accru de près de 600 000, encore ne s’agit-il là que de chiffres officiels, qui ne concernent qu’une seule catégorie de privés d’emplois.

Pour s’en tenir au plan économique et social, les orientations mises en œuvre sous le règne hollandais ont été en tous points conformes aux souhaits du patronat : «politique de l’offre» (baisse toujours plus poussée du prix du travail au nom de la «compétitivité», subventions et cadeaux fiscaux aux entreprises), «réformes» libérales, en particulier en matière de concurrence, d’affaiblissement du secteur public, et de détricotage du code du travail.

Il n’est nullement exagéré de souligner que cette politique relevait d’un «copié/collé» fidèle et précis des orientations impulsées par l’Union européenne.

A cet égard, la «Loi travail», qui a suscité un profond mouvement de rejet au printemps 2016, a été emblématique. Il convient d’en rappeler deux de ses aspects les plus essentiels : inversion de la «hiérarchie des normes», et simplification des possibilités de licenciement. Le premier aspect autorise que des négociations au niveau d’une entreprise aboutissent à des résultats plus défavorables pour les salariés que les garanties minimales prévues par le code du travail. Le second multiplie les cas où l’invocation de «contraintes économiques» suffit à justifier une mise à la porte.

De nombreuses manifestations ont tenté de mettre en échec ce projet très impopulaire notamment parmi la jeunesse. Mais un syndicat – la CFDT – a très tôt soutenu la loi, moyennant de minuscules concessions. D’autres facteurs expliquent que la mobilisation n’ait pas été suffisante. Car si les défilés ont été nombreux (et remarquables, dans le contexte d’un état d’urgence décrété après les attentats), il n’y jamais eu de grève générale ou massive.

Parmi ces facteurs figure très probablement ce qu’on pourrait nommer une résignation exaspérée. Autrement dit, une forte colère bridée par le sentiment que le pouvoir finira toujours par réussir à imposer ses volontés.

Car depuis trois décennies, «gauche» et droite alternent à chaque élection. La droite impose classiquement mauvais coups sociaux, réformes libérales et privatisations ; et les gouvernants de gauche… surenchérissent sur ces dernières, pour montrer qu’ils ne sont pas moins «réalistes» que leurs prédécesseurs ; qui eux-mêmes s’appuient sur ces nouveaux «acquis» pour aller plus loin, ce qui permet de poursuivre sans fin la surenchère.

La seule question politique qui vaille est donc : jusqu’à quand la digue de cette propagande mensongère tiendra-t-elle ?

Sur le plan politique, même impuissance populaire désespérée ! Ainsi, en mai 2005, le peuple rejetait massivement le projet de traité constitutionnel européen. Pour finalement constater que les dirigeants – députés de droite et PS réunis – annulaient de fait ce vote, et imposaient le traité de Lisbonne qui reprenait l’essentiel du texte. Ce bras d’honneur adressé par les élites à la démocratie n’est pas près d’être oublié.

Il fallait donc être bien naïf pour imaginer que François Hollande agirait différemment lors de son arrivée en 2012. Quelques semaines ont suffi pour qu’il entérine le nouveau traité imaginé par Angela Merkel en 2011, imposant une austérité supplémentaire via des règles budgétaires toujours plus strictes, alors même que le candidat Hollande avait promis de «renégocier» le texte.

Une renégociation évidemment impossible au vu du fonctionnement de l’UE et de ses principes mêmes. Seuls ceux qui voulaient y croire y ont cru.

Il reste donc une leçon majeure pour la suite : tout responsable politique qui promet un changement sans remettre en cause l’appartenance du pays à l’Union européenne trompe les électeurs.

Cette sortie de l’UE, condition certes pas suffisante mais ô combien nécessaire, est, précisément pour cette raison, plus violemment que jamais attaquée par les oligarchies au pouvoir, médias «mainstream» en tête : elle serait « catastrophique » (le Royaume-Uni allait connaître un cataclysme économique immédiat si le Brexit l’emportait, nous avait-on seriné avant le 23 juin), et indécente, car «populiste», «nationaliste», voire «néo-fasciste».

La seule question politique qui vaille – et pas seulement pour la France – est donc : jusqu’à quand la digue de cette propagande mensongère tiendra-t-elle ?

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