Ancien porte-parole de l'ONU : «Je crains qu’on ait pris la voie de la division de l’Irak»

L’offensive sur Mossoul, lancée le 17 octobre par les forces irakiennes, se poursuit pour libérer cette ville contrôlée par Daesh depuis deux ans. L'ex porte-parole de l'ONU en Irak Said Arikat songe aux conséquences de l'opération.

RT :La Croix Rouge déclare que l’attaque sur Mossoul va créer un million de réfugiés supplémentaires. Où trouveront-ils refuge ? L’Europe a-t-elle des raisons d'être préoccupée ?

Said Arikat (S. A.) : Je crois que ça va être énorme. Mes anciens collègues des Nations unies à Bagdad en Irak considèrent l'offensive sur Mossoul avec une vive inquiétude, parce qu'ils sont instruits des expériences antérieures, comme la libération de Tikrit qui avait abouti à l'expulsion de milliers de personnes, comme cela avait déjà été le cas à Fallouja et à Ramadi. On a obtenu des succès dans certaines régions de Tikrit, mais le dossier montre qu’un grand nombre d'habitants fuiront Daesh au moment où sera menée l'attaque. Ils se retrouveront dans une situation extrêmement difficile. J'ai posé cette question encore et encore au Département d’Etat, qui affirme qu'un processus de planification a été conduit au cours des six derniers mois et qu’ils régleraient tout problème éventuel. Mais je pense que c’est toujours une surprise, chaque fois que vous déplacez des centaines des milliers de gens à la fois.

C’est l’économie qui explique la position américaine concernant Mossoul et concernant Alep

RT :1,5 million de civils sont piégés à Mossoul. Est-ce que la mort d’un nombre énorme de gens est inévitable ? On craint que Daesh n’utilise la population locale comme bouclier humain…

S. A. : Oui, absolument. Ils ont fait la même chose à Fallouja, à Tikrit et en quelque sorte à Ramadi. Non seulement ils ont utilisé des boucliers humains, mais ils ont aussi laissé les villes piégées, ils ont détruit les hôpitaux et les écoles. Donc, même si les gens veulent rentrer dans la ville [après les combats], il y aura un problème très grave à Mossoul – et je connais assez bien cette ville – ils ne trouveront plus nulle part où se réinstaller dans la plupart des cas. S’ils rentrent, il n’y aura pas de services essentiels, pas de soins médicaux, pas d’écoles, pas d’électricité, pas d’eau. La situation sera extrêmement difficile.

RT : Les Etats-Unis admettent qu’il y aura des victimes civiles à Mossoul, mais cela ne les a pas empêchés de lancer cette opération. Josh Earnest, le porte-parole de la Maison Blanche a dit que la Maison Blanche approuvait la mission de Mossoul, tout en lançant des critiques contre l’opération antiterroriste des Russes à Alep. Est-ce que cela vous paraît contradictoire ?

S. A. : En effet. J’ai entendu cette déclaration du porte-parole de la Maison Blanche. Mais je suis d’accord qu’on ne doit pas laisser Daesh rester à Mossoul à cause de la situation, parce que cela peut durer pour toujours. Les choses sont similaires à Alep. Toute l’affaire à Alep consiste en ce qu’Al-Nosra doit quitter Alep-Est. Il s’agit précisément d’Alep-Est, non pas de la ville entière. Je crois qu’il y aura une chance d’aboutir à une longue cessation des hostilités, à un long cessez-le-feu. Les Etats-Unis veulent leur part du gâteau. C’est l’économie qui explique leur position concernant Mossoul et Alep.

Sans doute, les Etats-Unis manquent d'informations de terrain

RT : Pourquoi, comme vous le pensez, les organisations humanitaires sont promptes à faire des commentaires sur Mossoul, mais restent silencieuces quand il s’agit des victimes civiles des rebelles dans la partie ouest d’Alep contrôlée par les forces gouvernementales ?

S. A. : C’est une très bonne question, et je l’avais posée plusieurs fois au département d’Etat. Qui exactement sont vos sources sur le terrain ? Par exemple, qui sont ces Casques blancs et comment ont-ils surgi ? Et les Etats-Unis ont reconnu que l'Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) soutenait les Casques blancs. Il n’y a que ces groupes de secours à Alep, nous ne savons pas ce qui se déroule dans la partie ouest, la plus grande de la ville. Elle est probablement contrôlée par des agences du gouvernement syrien. Sans doute, les Etats-Unis manquent d'informations de terrain. Ils s’appuient principalement sur des informations procurées par les ONG qui peuvent être liées à de nombreux groupes rebelles. Donc, nous ne sommes pas sûrs de la véracité de ces informations et des déclarations faites par ces organisations humanitaires. En tout cas, je crois que c’est une catastrophe humanitaire à Alep-Est, et cela peut arriver à Mossoul aussi.

RT : Quelles sont vos prévisions pour la situation à Mossoul ? Que va-t-il se passer dans la ville, dans les prochains jours et semaines ?

S. A. : Cela prendra beaucoup de temps pour établir l’équilibre, comme on m’a répondu hier à la question que j’avais posée au département d’Etat. Les Etats-Unis mettent en place des procédures précaires, pour s'assurer que ce soient vraiment des civils qui fuient les villes et non des combattants de Daesh, etc. Il faut assurer le processus de vérification des identités. Comme c’est un processus difficile, cela va retarder les combats.La crainte qu’une grande partie de la ville puisse être piégée, qu’ils utilisent des boucliers humains, et qu’ils laissent d'autres éléments, tels que les explosifs improvisés, va sûrement ralentir le processus. Tout cela va influencer la bataille de Mossoul, qui va durer plus longtemps que cela a été annoncé. Mais il y a aussi d'autres aspects : quel sera le résultat politique ? Mossoul est un lieu de dissensions, où il y a beaucoup de clivages politiques. Et la ville est divisée en huit quartiers. Qui va la diriger ? Qu'adviendra-t-il de la province de Ninive [dont Mossoul est le chef-lieu]? Toutes ces questions restent ouvertes. Et je crains qu’on ait pris la voie de la division de l’Irak.

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