Accords de libre-échange : les «multinationales à la manœuvre»

Les populations européennes ne sont pas favorables aux accords CETA et TAFTA, mais ceux-ci sont soutenus par les pouvoirs politiques européens, «souvent très liés aux intérêts du big business américain», estime le journaliste Jean-Michel Quatrepoint.

RT France : Pensez-vous que le CETA soit vraiment un cheval de Troie du TAFTA ?

Jean-Michel Quatrepoint (J.- M. Q.) : Les accords de libre-échange c’est la philosophie des globalistes. Effectivement, l’accord avec le Canada devait préfigurer l’accord TTIP (TAFTA).

RT France : Profitant d'un accord de libre-échange avec le Canada, les Etats-Unis pourront-ils faire exporter leurs produits vers l'Europe ?

J.- M. Q. : Exactement, les entreprises américaines peuvent faire transiter les marchandises vers l’Europe, bien sûr. Qu’est-ce que le CETA ? C’est essentiellement permettre au Canada d’exporter vers l’Europe ses produits pétroliers, et ses produits agricoles, notamment la viande. C’est ce qui pose vraiment problème. En plus du pétrole de schiste, les Etats-Unis veulent d’abord exporter en Europe du gaz liquéfié, pour ses recettes, mais aussi, parce que cela fait autant de moins à vendre à Gazprom. C’est donc une stratégie globale.

Il se trouve que, en termes écologiques, ce pétrole de schiste et ce gaz liquéfié sont polluants. C’est donc un paradoxe, car d’un côté on a les objectifs de la COP-21, et de l’autre côté on va importer ce pétrole de schiste qui est plus polluant.

Le fond du problème est que les accords de libre-échange sont faussés

Ensuite, les agriculteurs français sont très hostiles face à ce traité, parce que les Canadiens vont déverser 40 000 tonnes de viande bovine, une viande de très bonne qualité, sur le marché européen. C'est une concurrence terrible pour les producteurs français.

On dit également qu'il n'y aura pas de tribunaux d’arbitrage pour les conflits entre multinationales et Etats, que ce sera une Cour composée de 15 juges professionnels. Mais qui élira ces juges professionnels, à quelle influence seront-ils soumis, quel sera le poids des lobbies ? C’est un problème de demain.

Les Allemands sont assez malins, parce que la Cour de Karlsruhe veut imposer pour la signature décisive de l’Allemagne la ratification de l’accord par chaque parlement des Länder. Ils ont obtenu une clause qui leur permet de sortir, s’ils le souhaitent un jour, du CETA. Cela veut dire que si, à un moment donné, le gouvernement estime que le CETA lui est trop défavorable, il pourra en sortir. Je pense que la France pourrait au moins obtenir la même chose.

RT France : Comment la nature de l'Union européenne influence-t-elle le traité ?

J.- M. Q. : Il y a un problème avec le Brexit, notamment en matière de viande. L’accord est signé, mais les Etats négociaient à 28. Les Anglais sortent, alors qu’ils étaient les gros consommateurs de viande canadienne. La part des Britanniques dans les quotas définis sera-t-elle sortie de ces quotas ou non ? Le fond du problème est que les accords de libre-échange sont faussés, parce qu’aucun de ces accords ne mentionne les problèmes monétaires. Imaginons que le dollar canadien baisse beaucoup. D’un coup, tous les produits canadiens deviennent plus compétitifs que les produits européens. Si vous n’incluez pas dans les accords de libre-échange des clauses monétaires, ce sont des marchés dupes, car la monnaie joue un rôle très important dans tout cela. Les Américains manipulent leur monnaie, et comme le dollar est la monnaie de 70% opérations internationales, si le dollar baisse, les produits américains sont plus compétitifs.

François Hollande n’a pas d’idée sur la question des traités de libre-échange, il va dans le sens du vent

RT France : Les autorités françaises se sont dits défavorables au TAFTA. Pourquoi se tournent-elles vers le CETA après avoir quasiment rejeté le TAFTA ?

J.- M. Q. : Le CETA a été négocié avant. Il y a encore quelques mois, François Hollande était un fervent partisan du TAFTA. Pendant une rencontre avec Barack Obama aux Etats-Unis, il lui a dit : «Il faut signer ça très vite». Six mois, un an plus tard, il change d’avis. En fait, François Hollande n’a pas d’idée sur la question, il va dans le sens du vent. Quand il pensait que le vent était favorable au TAFTA, il disait «il faut signer vite», quand il voit que cela traîne, notamment en Allemagne, il dit le contraire. Tout cela est incohérent. On avait le pouvoir de négocier avec la commission et voilà leur problème quand ce sont des Etats qui négocient. Quand c’est la commission, ils donnent le mandat à la commission, elle est acquise par principe, elle est logiquement pour le libre-échange absolu. En outre, les comissaires européens sont souvent très liés aux intérêts du big business américain. A partir de ce moment-là, est donné aux adeptes des accords de libre-échange le pouvoir de négocier. En plus, derrière, ce sont des multinationales qui sont à la manœuvre. Forcément, ils feront un accord qui est favorable aux Etats-Unis. C’est logique. L’erreur est d’avoir confié cela à la Commission.

Je pense que vendredi on ira vers une sorte de compromis

RT France : La Wallonie s’oppose aujourd’hui au CETA. Sera-t-il adopté tout de même ?

J.- M. Q. : Ils vont faire des pressions considérables sur les Wallons dans les jours qui viennent. Je pense que vendredi on ira vers une sorte de compromis, où on dira : comme les parlements nationaux doivent ratifier, vous pouvez toujours dire non lors de la ratification par la Belgique... mais les Wallons n'ont pas la majorité.

Ce sont deux conceptions qui s'affrontent, fondamentalement. Une conception de libre-échangisme total qui est vecteur d'une mondialisation pilotée par les anglo-saxons, et une autre conception, qui est de dire que, dans ce libre-échange il y a des marchés de dupes. Et, en plus, le pouvoir est donné aux multinationales.

C'est ça le débat de fond. Et c'est pour cela que les populations rechignent face à ces accords de libre-échange. Mais le système leur est, lui, favorable.

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