RT France : Pourquoi la construction d'un tel mur entre les deux pays ?
Fatiha Daoudi (F. D.) : La raison donnée du coté marocain est la lutte contre la menace terroriste que les dirigeants algériens n’arrivent pas à endiguer, alors que pour ces derniers, le mur est un moyen de contrer le trafic de drogue venant du Maroc. A mon sens, les raisons invoquées ne sont pas très convaincantes car les murs qui ont été construits, au niveau des frontières, de par le monde, n’ont jamais empêché la contrebande et le terrorisme. Je dirais même plus, ils ne font que les exaspérer, particulièrement la contrebande.
Une coopération active entre l’Algérie et le Maroc serait un véritable rempart contre le terrorisme mais aussi contre toute illégalité
RT France : Pensez-vous que c’est une bonne solution pour lutter contre la menace terroriste, comme l’affirme le ministre marocain de l’Intérieur ?
F. D. : A observer le nombre d’attentats terroristes exécutés par les ressortissants du pays visé, il semble que dresser un mur n’est pas la solution idéale. Par contre, l’efficacité de la lutte se réaliserait dans le cadre d’une coopération entre les Etats, autrement dit une coopération active entre l’Algérie et le Maroc serait un véritable rempart contre le terrorisme mais aussi contre toute illégalité.
Les frontaliers vivent un véritable drame humain depuis 1994, date de la fermeture des frontières
RT France : Quel impact ce mur aura-t-il sur les relations entre le Maroc et l’Algérie ? De quoi est-ce que cela témoigne ?
F. D. : Il existe depuis 22 ans un véritable mur entre les deux pays : c’est la fermeture des frontières terrestres décidée par les gouvernants algériens. Ce mur passe inaperçu sur le plan international car il est invisible ! Cette fermeture sépare une même population et pénalise les frontaliers qui, de tout temps, ont commercé ensemble et entretenu des relations familiales très fortes. Les frontaliers vivent un véritable drame humain depuis 1994, date de la fermeture.
Je ne sais pas s’il est possible d’arriver à des relations plus compliquées que celles qui existent actuellement entre le Maroc et l’Algérie
RT France : Pensez-vous que la construction du mur puisse aggraver les relations entre le Maroc et l’Algérie ?
F. D. : Je ne sais pas s’il est possible d’arriver à des relations plus compliquées que celles qui existent actuellement entre le Maroc et l’Algérie. Pour vous donner un exemple, depuis l’indépendance de cette dernière (1962), ses frontières terrestres avec le Maroc ont été ouvertes tout au plus une dizaine d’années. La problématique remonte à la colonisation française, qui a favorisé l’Algérie sur le plan territorial au détriment du Maroc mais aussi de la Tunisie et de la Libye.
La construction d'un mur ne facilitera pas le retour à la normale
RT France : Pourquoi la construction d'un tel mur entre les deux pays ?
Zoheir Rouis (Z. R.) : Les raisons sont assez floues parce que nous avons affaire à une opacité sur le sujet due à la nature même des régimes algérien et marocain. La frontière entre l’Algérie et le Maroc est de 1 550 kilomètres. Aujourd’hui, le Maroc parle de construire un mur sur 150 kilomètres et invoque des raisons sécuritaires. On voit bien que quand on a une frontière de 1 550 kilomètres et qu’on construit un mur de 150 kilomètres, les motifs sécuritaires ne tiennent pas la route, parce qu’on va laisser le reste de la frontière non protégé et sans mur. Si le Maroc craint le passage des terroristes de l’Agérie, ils passeront là où il n’y a pas de mur.
Les arguments sont assez fallacieux
RT France : Pensez-vous que c’est une bonne solution pour lutter contre la menace terroriste, comme l’affirme le ministre marocain de l’Intérieur ?
Z. R. : Ce n’est ni la solution, ni la vraie justification, parce qu’il n’y a pas de raisons pour le Maroc de considérer que l’Algérie exporte les terroristes vers le Maroc. Déjà les arguments sont assez fallacieux. Ce qui contredit cet argument sécuritaire, c’est que dans les années 1990 et pendant dix ans, l’Algérie a vécu le terrorisme, une vraie guerre était menée contre les Algériens et leur Etat, et le Maroc n’a construit aucun mur, aucune clôture et n’a pas souhaité se protéger des terroristes qui étaient en Algérie à cette époque-là. Le mur que le Maroc est en train de construire ne date pas d’aujourd’hui. En réalité, en 2014, le Maroc avait déjà construit une clôture métallique, en répondant en cela aux travaux entrepris par l’Algérie qui a érigé une sorte de vide tout le long de la frontière pour protéger l’Algérie contre la contrebande venant du Maroc. D’autres arguments sont également en jeu dont on ne connaît pas tous les ressorts. On ne sait pas très bien si la question avec le Polisario joue un rôle dans cette montée des tensions entre les deux pays.
Les dirigeants qui manquent de légitimité ne regardent pas trop les intérêts de leur population
RT France : Quel impact ce mur aura-t-il sur les relations entre le Maroc et l’Algérie ? De quoi est-ce que cela témoigne ?
Z. R. : On voit bien que ce qui se passe là ne travaille pas pour l’objectif de la population des deux pays qui souhaite l’ouverture des frontières fermées, à l’initiative du Maroc depuis 1994. La décision des dirigeants de ces pays-là c’est tout le contraire de ce que souhaite la population, ce n’est ni dans l’intérêt de l’Algérie, ni dans l’intérêt du Maroc que les frontières soient fermées, qu’il y ait une montée des tensions. Au contraire, au moment où les pays se rassemblent en blocs économiques, politiques pour être plus forts, pour affronter ensemble le chômage, la récession, les problèmes économiques, sécuritaires, en Libye se passent des événements importants de déstabilisation. Nous ne sommes pas face à un Etat de droit et c’est la raison pour laquelle les dirigeants qui manquent de légitimité ne regardent pas trop les intérêts de leur population, ils sont plutôt en réaction épidermique pour des raisons opaques.
Nous allons de plus en plus vers des situations qui ne facilitent en rien le retour à la normale
RT France : Pensez-vous que la construction du mur pourrait aggraver les relations entre le Maroc et l’Algérie ?
Z. R. : Oui, certainement, cela non seulement les aggrave, mais rend tous les jours de plus en plus difficile la coopération entre les deux pays, et rend compliqué un retour à la normale. Pourtant ces deux pays sont très importants pour la stabilité du Maghreb et pour la construction du bloc maghrébin. Nous allons de plus en plus vers des situations qui ne facilitent en rien le retour à la normale.