RT : Quel commentaire vous inspire la déclaration de l’ICIJ indiquant que le consortium «n'est pas WikiLeaks» et qu’il n’a pas l'intention de publier l’intégralité des Panama Papers ?
Kristinn Hrafnsson : Cette organisation ne travaille pas du tout comme WikiLeaks. [...] Quand ils disent que c’est une approche responsable du journalisme, je ne suis absolument pas d'accord avec le message général de cette phrase. Je suis tolérant quant aux retards dans la publication des données : chez WikiLeaks nous avons fait la même chose lors de la publication des câbles diplomatiques en 2010 et 2011. Nous sommes, par ailleurs, vivement critiqués pour n’avoir pas publié immédiatement tous les documents. Mais en fin de compte, ils ont été publiés sur le réseau dans leur intégralité, au sein d’une base de données équipée d’une fonction de recherche. Je voudrais que ce soit pareil avec les Panama Papers. Ces documents doivent être accessibles à tous, de sorte que n’importe qui puisse se familiariser avec eux, pas uniquement les journalistes qui étudient ces données. Je comprends qu'à un moment ils puissent reporter la publication de ces documents dans leur intégralité, afin d'obtenir un effet maximal, mais en fin de compte le grand public devrait y avoir accès.
Nous avons une relation assez complexe avec beaucoup de médias «mainstream»
RT : Parlons de l'éventuelle partialité des journalistes. Vous avez travaillé avec les médias traditionnels, qui ont présenté les données que vous leur aviez fournies sous un certain angle. Vous-même, auriez-vous confié cette tâche à des partenaires comme la BBC ou le Guardian ?
K. H. : Vous savez, c’est compliquée comme question. Nous avons une relation assez complexe avec beaucoup de médias «mainstream». On n'a pas apprécié la façon dont ils avaient traité les informations fournies par WikiLeaks. Mais dans ce cas, les contraintes juridiques peuvent jouer un rôle important. Les lois sur la responsabilité légale au Royaume-Uni sont connues pour être très archaïques, elles posent de graves difficultés pour la liberté journalistique. Bien sûr, on ne peut pas exclure l’hypothèse de la partialité des journalistes, dans le cas d’une fuite d’une telle ampleur ce facteur existe, sans doute. [...] Et c’est un point intéressant, car, comment pouvez-vous récupérer les informations provenant de plus de 11 millions de documents ? D'abord, il faut élaborer des critères spécifiques. Et ces critères vont refléter vos intérêts. Par conséquent, il y a toujours la possibilité que vous soyez à la recherche d'informations qui confirment certains de vos soupçons. Autrement dit, il est difficile d'être totalement objectif.
RT : Vous êtes actuellement à Reykjavik. Quelles ont été les conséquences politiques de la publication des Panama Papers ?
Le premier ministre n’avait pas d'autre choix que de démissionner
K. H. : Les conséquences sont importantes. Il y a eu une manifestation dans le centre de Reykjavik avec la participation de 20 000 personnes exigeant la démission immédiate du gouvernement. C’est très sérieux. L’Islande est un très petit pays et, en termes relatifs, près de 10% des électeurs étaient sur la place principale de Reykjavik pour réclamer le départ du gouvernement. Au fond, la population a donné deux options aux autorités : soit elles démissionnent, soit les manifestations et les troubles vont commencer.
RT :Que pensez-vous de la démission du Premier ministre islandais, Sigmundur Gunnlaugsson, suite à la publication des Panama Papers ?
K. H. : Pour le Premier ministre, c’était la seule possibilité après la plus grande manifestation dans l'histoire du pays, qui a eu lieu devant le bâtiment du parlement. Dimanche [le 3 avril], tout le monde a vu que le Premier ministre mentait de manière éhontée, hésitait, puis il s’est arrêté net pour partir au cours de l'interview, lorsqu’on lui a posé la question sur ses liens avec une société offshore. Le premier ministre n’avait pas d'autre choix que de démissionner. Il a déshonoré l'Islande sur le plan international. La population est tout simplement furieuse. [...] Des émeutes importantes auraient démarré à Reykjavik s'il avait tenté de rester au pouvoir.