Le nord du Nigéria et du Cameroun, ainsi que le sud du Tchad subissent régulièrement de sanglants attentats provoqués par les djihadistes de Boko Haram qui ont fait allégeance à l’Etat islamique(Daesh).Face à eux, les autorités du Nigeria ont longtemps semblé dépassées et impuissantes. Quant à celles du Cameroun, elles sont paralysées par les frontières et les appartenances ethniques. A l'échelle régionale, le seul point de résistance est le Tchad du président Idriss Déby. Un front islamiste étant ouvert dans la région tchado-nigériane, la question est de savoir s’il y a risque de regroupement avec les autres foyers islamistes sahéliens et libyens.
Dans un premier temps, Boko Haram a prospéré sur la frustration des élites musulmanes Haoussa-Peul-Kanouri, au nord, qui n’acceptaient pas que le Nigeria soit dirigé par les chrétiens du sud. En 2011, Goodluck Jonathan, chrétien, fut en effet élu président à l’issue d’un scrutin très révélateur des dissensions ethno-régionales, le sud chrétien ayant voté pour lui alors que le nord musulman s'était massivement prononcé pour le général Buhari.
Cette victoire, qui illustrait une inversion des rapports de force entre nord et sud entamée depuis une décennie, provoqua bien des crispations. Jusque là, le nord, qui tenait l’administration et l’armée, exerçait en effet le pouvoir tout en détournant à leur profit la manne pétrolière du sud. Les rôles ayant été renversés, le sud prit le contrôle de la production pétrolière, puis cassa le monopole que les Peuls musulmans exerçaient sur l'armée en favorisant la promotion d'officiers venant du sud, notamment des membres de l'ethnie des Tiv. Un peu plus de deux millions d'entre eux vivent dans le centre-est du Nigeria. Ils sont majoritairement chrétiens, avec une importante minorité animiste.
Dans un premier temps, la stratégie de Boko Haram fut d'exacerber la fracture entre le nord et le sud du Nigeria afin d’imposer l’indépendance d'un Etat théocratique nordiste inscrit dans la tradition des émirats du XIX° siècle
C'est dans ce contexte que Boko Haram fut instrumentalisé par des politiciens du nord afin d'empêcher le président Goodluck de gouverner. Cela leur fut d'autant plus facile que le djihadisme fut à plusieurs reprises utilisé par les dirigeants musulmans de la fédération afin d'affaiblir leurs opposants chrétiens. Au mois de mai 1987, le général Babangida, qui était alors au pouvoir, avait ainsi armé des groupes islamistes afin d'attaquer des chrétiens dans les Etats du nord, notamment Sokoto et Bornou.
Dans un premier temps, la stratégie de Boko Haram fut d'exacerber la fracture entre le nord et le sud du Nigeria afin d’imposer l’indépendance d'un Etat théocratique nordiste inscrit dans la tradition des émirats du XIX° siècle. Puis, une rupture se produisit entre les Haoussa-Peul et les Kanouri, ces derniers formant la base ethnique du mouvement.
L'attitude des autorités musulmanes du nord changea en effet quand Boko Haram se lia à Al Qaida, échappant par là même à leur semi contrôle. L'armée fédérale étant inopérante car perçue par les populations musulmanes comme une force d'occupation en partie chrétienne, les chefs du nord tentèrent alors de réduire ou du moins de cantonner Boko Haram. En représailles, ce dernier déclencha une campagne terroriste contre l'émir de Kano. Fin novembre 2014, la mosquée de Kano, qui jouxte le palais de l'émir Sanusi Lamido Sanusi, fut ainsi attaquée à l'heure de la prière. Le bilan fut de 120 morts et de plusieurs centaines de blessés.
Le problème est que la zone ethno-territoriale kanouri déborde largement à l'extérieur des frontières du Nigeria, notamment au Niger où les Kanouri constituent 5% de la population, dans l'extrême nord du Cameroun et au Tchad
Aujourd'hui, Boko Haram, qui a territorialement reculé, n’est plus actif que dans deux Etats de la fédération, le Yobe et le Bornou, ainsi que dans une partie du Gombe, soit la plus grande partie du territoire des Kanouri. Ces derniers ne parlent pas la même langue que les Haoussa et ils sont les héritiers de l'empire de Kanem Bornou (fin XV°-1893) qui s'étendait sur une partie du Tchad, du Niger et du Cameroun, avec une pénétrante vers la Libye via Bilma.Boko Haram fut d’ailleurs fondé par un Kanouri du nom de Mohamed Yusuf, abattu par l'armée le 31 juillet 2009.
Alors que les sultanats haoussa-peul, dont celui de Sokoto, sont issus du djihad des Peuls d'Othman dan Fodio venus de la région du Sénégal à la fin du XVIII° siècle, l'islamisation des Kanouri fut réalisée par des tribus arabes venues de Libye. Les descendants de ces dernières sont aujourd'hui installés dans la partie centrale du Tchad ainsi que dans toute la région péri-tchadique. Au Tchad, ils sont groupés en trois ensembles, les nomades Djoheïna, les Hassaouna et les Awlad Sulaymane; ces derniers vivent également en Libye où ils sont en conflit avec les Toubou.
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Le problème est que la zone ethno-territoriale kanouri déborde largement à l'extérieur des frontières du Nigeria, notamment au Niger où les Kanouri constituent 5% de la population, dans l'extrême nord du Cameroun et au Tchad. Dans ces trois pays, les Kanouri partagent le territoire avec d'autres ethnies. Au Tchad, ils sont concentrés dans les deux préfectures de Kanem, chef-lieu Mao, et du Lac avec pour chef-lieu Bol.
Or, ces régions sont surpeuplées, leur environnement est favorable à toutes les forces négatives : au nord, la Libye ne contrôle pas son sud, à l’est le foyer du Darfour est toujours allumé. Quant aux frontières régionales du Nigeria, du Cameroun et du Tchad, elles proviennent d’accords entre Britanniques, Allemands et Français et elles ne tiennent aucun compte des implantations ethniques puisqu’elles furent dessinées afin que les trois empires aient chacun une « fenêtre » sur le lac Tchad. D’où une extrême porosité qui est utilisée par Boko Haram.