Etait-ce :
a) Vladimir Poutine
b) Sergueï Lavrov
c) Viktor Ianoukovytch
d) Jean-Claude Juncker
Si la bonne réponse était (a) ou (b), les journalistes occidentaux et les partisans du régime de Kiev - qui sont souvent impossibles à distinguer – se seraient alignés pour coller à une telle citation l’étiquette de «propagande russe». Ou de parler d’une «guerre hybride». Ou encore d’autre chose, en fonction du slogan/hashtag de Twitter à la mode pour ce mois-ci.
Il se trouve que depuis la «Révolution orange» de 2004 la Russie n’a pas changé de position en affirmant que l'objectif principal des États-Unis est d'exploiter les divisions fratricides en Ukraine pour servir ses propres objectifs géopolitiques.
Objectifs qui consistent, d’après Moscou, à placer les forces américaines au plus près des frontières russes au nom d’un «endiguement.»
Deux choses ont empêché la réussite totale du plan américain. Premièrement, il y a les conflits ukrainiens internes : les manifestants de la capitale, soutenus par les alliés Galicie [région de l’Ukraine occidentale, NDLR], ont déjà fait partir deux gouvernements pro-orientaux, dont le second avait été élu de manière honnête. Comme le sentiment à Kiev et à Lviv ne reflète pas celui de l'ensemble du pays, les régimes que ces manifestations ont engendrés se sont montrés incapables de s’assurer un soutien populaire à l'échelle nationale. Par exemple, Petro Porochenko, le président actuel, jouit maintenant d’un taux d'approbation plus bas que celui qu’avait son prédécesseur déchu, Viktor Ianoukovytch, avant Maidan.
Le libre-échange avec l'UE est en grande partie inutile pour l'Ukraine
L'autre obstacle a été la réticence de nombreux membres de l'OTAN et de l'UE à admettre l'adhésion des institutions ukrainiennes dans leur intégralité.
Ainsi, l'Ukraine est alimentée par des aides au compte-goutte et par de chaleureuses louanges, mais n’arrive jamais pour autant à rejoindre l’un des deux clubs.
Il est intéressant de noter que l'OTAN fournirait plus que volontiers une assistance militaire et un financement à l'Ukraine, mais, et ce malgré les fortes pressions exercées par Bernard-Henri Lévy et ses semblables, une stratégie économique «à la plan Marshall» reste inimaginable pour les dirigeants occidentaux.
Le beurre et les canons
Nous entendons beaucoup de solidarité (souvent guerroyante) de la part de Washington vis-à-vis de l'armée ukrainienne, mais très peu de choses quant aux retraités de ce pays, censés survivre avec quelques 14,07 dollars par semaine en moyenne, selon le taux de change courant. Ce qui est à comparons avec les 40,51 dollars en Bulgarie et 41,25 en Russie, où les services publics sont nettement moins cher.
La réponse « c » serait également incorrecte. Ianoukovytch a peut-être été un président faible et terriblement corrompu, mais en 2013, il a, bien que tardivement, réalisé une chose importante : que l'accord d'association avec l’UE, qu'il a in fine décidé de ne pas signer, deviendrait un désastre absolu pour l'Ukraine. Parce qu'il sacrifiait, entre autres, les liens avec le principal partenaire commercial du pays, la Russie, et les remplacait par une alternative bien moins sûre.
Le libre-échange avec l'UE est en grande partie inutile pour l'Ukraine en l'état actuelle des choses. Pour les deux dernières décennies, les classes dirigeantes du pays ont volé tout ce qu'elles pouvaient, et ont transféré cet argent à l'étranger. En conséquence, il y a eu peu ou pas d'investissements dans la modernisation de l'industrie ukrainienne. Cela signifie que ses produits sont de qualité insuffisante pour rivaliser sur des marchés européens marqués par une terrible concurrence.
Les paroles de Juncker, bien qu’un exemple de sincérité rare pour un eurocrate, sont un coup dans les dents pour les intégrationnistes pro-UE de Kiev
Fait quelque peu déroutant, de nombreux militants à Maidan semblaient croire que l'adhésion de l’Ukraine à l'UE était une chose sûre. Mais elle ne l'a jamais été. Seul un pacte de libre-échange, largement en faveur de Bruxelles, était dans les tuyaux.
De son côté, la Russie avat offert 15 milliards de dollars et une réduction de 30% sur le prix du gaz. Cela venait en réponse à une demande du FMI, exigeant que l'Ukraine augmente les prix des services publics et réduisent les dépenses publiques en échange d'un plan de sauvetage.
L'Ukraine d’après le coup d’Etat a été forcée par défaut à s’enfoncer dans ce scénario. Depuis lors, le PIB nominal a chuté de 183 milliards à environ 90 milliards de dollars. La dette publique est montée à 94% du PIB en 2015 et les salaires annuels moyens sont désormais à environ 2 000 $, le niveau le plus bas d’Europe. Le 1er Janvier, les réserves de change s’élevaient à un bien faible 12,5 milliards de dollars.
La voix de son maître
Vous avez certainement compris que notre réponse était « d », que notre homme était Jean-Claude Juncker. Le Président de la Commission européenne parlait depuis les Pays-Bas, où un référendum sur l'accord de libre-échange UE-Ukraine aura lieu en avril.
Tout en essayant d'apaiser les craintes des électeurs néerlandais à propos d’une nouvelle expansion impopulaire de l'UE à l'est, il a montré où l'Ukraine se trouvait aux cotés des eurocrates.
Dans l’ambiance enivrante de décembre 2013, les dirigeants de l’UE, tels que le couple proaméricain Carl Bildt - Radoslaw Sikorski, finalement destitué, avaient donné l’impression aux manifestants de Maïdan que les portes de l’Union Européenne étaient ouvertes à l’Ukraine.
Le problème est que l'élite de l'UE ne veut pas que l'Ukraine rejoigne le club
Même maintenant, Kiev a des ONG consacrées à l'intégration européenne et nous entendons parler sans cesse du « choix européen » de l’Ukraine. En aparté, étant donné que l'UE ne contrôle que 44% de la superficie du continent, c’est infiniment amusant d’entendre ces activistes parler de l’Europe quand ils veulent dire « Union européenne ».
Les paroles de Juncker, bien qu’un exemple de sincérité rare pour un eurocrate, sont un coup dans les dents pour les intégrationnistes pro-UE de Kiev.
Alors qu’il ne fait que confirmer, en gros, ce que les analystes intelligents savent déjà depuis longtemps, le fait qu'un fonctionnaire d’un tel rang rejette ouvertement les ambitions ukrainiennes est très significatif.
Le président de la Commission européenne a reconnu que l’expansion de l'UE avait été trop rapide dans le passé et a insisté sur le faut que Bruxelles « ne refera pas cette erreur ».
Fait intéressant : on pourrait affirmer que l’adhésion trop rapide de la Roumanie et de la Bulgarie en 2007, et la réaction des médias britanniques qui l’ont suivie, ont créé les circonstances pour le vote sur le «Brexit» de cette année. De ce point de vue, le comportement des autorités britanniques lors de Maïdan était assez amusant. Nous avons vu le ministre des Affaires étrangères, Phillip Hammond, promouvoir l'idée d' une adhésion ukrainienne à l'UE - tout en admettant en parallèle qu'il voterait pour une sortie de son pays du club bruxellois.
L'hypocrisie est époustouflante.
Les Ukrainiens vivent avec l’illusion que leur pays est sur la voie d'une adhésion à l'UE, d’une intégration dans le système politique et économique de l'Ouest. Pour atteindre ces aspirations, ils acceptent de grands sacrifices. Le problème est que l'élite de l'UE ne veut pas que l'Ukraine rejoigne le club. Ce pays est trop gros, trop corrompu, trop pauvre et trop proche de la Russie. Il est temps que l’élite législative – et oligarchique – de Kiev dise la vérité à son peuple. Le «choix européen» de l'Ukraine est une escroquerie, construite sur de fausses promesses.