«Au-delà du plaisir personnel d'être ici, il y a une volonté politique forte d'être aux côtés des agriculteurs et des pêcheurs corses, qui ont l'impression d'être abandonnés par les politiques», explique le chef de file d'Inseme per a Corsica.
Pour ce nationaliste modéré, célèbre pour avoir été l'avocat d'Yvan Colonna, condamné pour l'assassinat du préfet Claude Erignac, faire face à la crise agricole nécessite d'imposer l'agriculture dans le modèle de développement économique, afin que la production permette de vivre à ceux qui la pratiquent.
Le contexte est symbolique pour Gilles Simeoni, car il s'agit de son premier salon de l'agriculture après la victoire de son parti aux élections régionales de décembre.
Evoquant les contraintes liées à la situation insulaire de la Corse (problèmes de transport, de spéculation immobilière au détriment des terres agricoles...), il se dit prêt à rassembler les différentes forces politiques de l'île de Beauté pour s'attaquer aux problèmes. L'une de ses premières mesures consistera ainsi à sanctuariser 105 000 ha d'espaces stratégiques, afin de permettre le développement de l'agriculture locale sur cette réserve foncière. Soucieux que sa région ne soit pas dépendante, il vise l'autosuffisance alimentaire «à l'horizon 2030-2040».
Au-delà de la victoire des nationalistes, un immense mouvement populaire en faveur du changement a créé une nouvelle donne en Corse
Tensions avec Paris
Pourtant, les revendications corses ne sont pas toujours du goût du gouvernement. Jean-Guy Talamoni, allié politique de Gilles Simeoni et président de l'Assemblée de Corse, a récemment jeté de l'huile sur le feu.
Son discours d'investiture prononcé en corse, sa volonté de faire libérer les «prisonniers politiques» - des individus condamnés pour terrorisme ou assassinat - ainsi que ses propos sur la France, qu'il dit considérer comme un «pays ami» ont crispé Paris et n'arrangent pas les relations historiquement tendues entre l'île et le continent. «Pour le moment, nos relations sont difficiles» admet Gilles Simeoni.
Représentant du Conseil exécutif corse, il regrette que les votes adoptés «à l'unanimité ou à une très forte majorité» par l'assemblée de Corse ne soient pas pris en compte par le gouvernement et que la volonté de s'engager dans un processus de dialogue ne rencontre pas d'écho à Paris.
Selon lui, si «l'immense attente des corses» n'était pas satisfaite, et que Paris devait continuer à jouer la carte du conservatisme et de l'immobilisme, cela risquerait de créer des situations de tensions problématiques. «Ce n'est pas un chantage à la violence», précise-t-il.
La Corse a souffert d'une situation d'inéquité et de refus de prise en compte de ses aspirations
Manuel Valls : un racisme à géométrie variable ?
Au gouvernement, Manuel Valls en particulier n'a jamais caché son scepticisme à l'égard des revendications corses. «L'Etat ne reculera jamais en Corse», avait-il prévenu, s'interrogeant sur la légitimité d'une Nation corse. «Certains parlent d'une Nation corse, mais je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Il n'y a qu'une seule Nation, la Nation française. Il est hors de question de revenir là-dessus», déclarait avec force le Premier ministre au lendemain de la victoire des nationalistes.
Evoquant un «racisme anti-corse», véhiculé notamment par la propagation de stéréotypes, Gilles Simeoni n'épargne pas Manuel Valls, qu'il accuse de tenir des propos stigmatisants à l'égard des insulaires. «Le Premier ministre a dit que les Corses ont la violence dans leur culture... Je ne suis pas sûr qu'il se serait permis de dire la même chose des communautés juives ou musulmanes !» s'agace-t-il.
Interrogé sur le racisme dont certains corses ont été accusés, suite aux violences islamophobes ayant suivi l'attaque de deux pompiers en Corse en décembre et aux virulents propos anti-français de certains individus, Gilles Simeoni relativise : «Bien sur il y a des gens racistes en Corse, comme partout ! Mais beaucoup de corses se battent contre le racisme, et pendant la Seconde Guerre mondiale, les corses se sont tous unis pour faire qu'aucun juif ne soit dénoncé !»
La Corse est une terre de tolérance
Le nationalisme, rempart contre le FN ?
Interrogé sur le fait que la Corse est la région où le Front National a obtenu son plus faible score, Gilles Simeoni estime que le nationalisme est le meilleur rempart contre la montée de l'extrême droite, même si paradoxalement, le nationalisme corse est souvent lié aux partis de gauche.
En Corse, en France ou en Europe, le meilleur antidote contre l'extrême droite, ce sont des mouvements politiques forts qui apportent des réponses de fond dans le domaine économique, social et concernant le modèle d'intégration. En Corse, le nationalisme a cette vocation
Balayant encore une fois le cliché d'une Corse prétendument raciste et xénophobe, il affirme que la conception locale de l'identité est «ouverte, rayonnante, considérant comme corses non seulement les hommes et les femmes qui sont nés sur l'île ou dont la famille a une origine corse, mais aussi toute personne qui fait le choix de s'intégrer dans le projet collectif porté par l'île et son peuple».
Autonomie ou indépendance ?
Concernant l'indépendance potentielle de son île, revendiquée par certains au sein de sa coalition, le positionnement de Gilles Simeoni est clair. «L'objectif d'indépendance, qui continue d'être défendu par les indépendantistes qui font partie de notre majorité territoriale, n'est pas dans le projet de gouvernement de la Corse. Nous sommes dans une logique d'émancipation progressive», explique-t-il, rappelant au passage que les autonomistes, plus modérés, sont majoritaires sur les indépendantistes au sein de sa coalition.
La majorité des Corses n'est pas favorable à l'indépendance
Le fantasme d'une Corse totalement indépendante, dotée d'une armée, d'un président de la République ou d'une monnaie serait donc encore au stade de l'utopie, et la priorité serait surtout de parvenir à une large autonomie, notamment sur le plan économique, tout en faisant en sorte que Paris lâche du lest.
Prudent, Gilles Simeoni rappelle également l'importance du fait que la question de l'indépendance, si elle doit un jour se poser, devra être décidée par le peuple corse.
«Il ne s'agit pas encore d'imaginer une Corse indépendante qui envisagerait d'avoir l'arme nucléaire», ironise -t-il.