RT France : En tant qu'agricultrice, pourriez-vous nous expliquer les problèmes auxquels vous êtes confrontés ?
Anne Boissel (A. B.): Aujourd'hui, le problème c’est que les agriculteurs ne gagnent plus leur vie. C'est-à-dire qu’on se lève tous les jours, sept jours sur sept, pour perdre de l'argent, et en particulier les éleveurs. C'est la grande difficulté, nous sommes en train de disparaître du paysage français.
On nous annonce des millions d'euros, qu’on ne voit jamais arriver
RT France : A quoi ce problème est-il dû ?
A.B. : Personnellement, je me bats depuis 2009 parce qu’on sentait que ça allait arriver à cause du libéralisme. C'est-à-dire qu'aujourd'hui on est arrivé à une dérégulation totale du marché. Et comme on est en surproduction, en tout cas en Europe, et bien les prix ont chuté.
RT France : A qui la faute ?
A.B. : La faute est partagée. Il y a tout d'abord nos représentants français, les ministres de l'Agriculture, Bruno Le Maire sous Sarkozy, Stéphane Le Foll aujourd'hui sous Hollande, qui ont laissé cette dérégulation se mettre en place. Elle était annoncée, ils n’ont rien fait pour préparer tout ça et puis, à chaque fois, ils se couchent devant la Commission européenne. Le commissaire européen irlandais, Phil Hogan, nous disait il y a quelques mois encore qu’il n'y avait pas de crise de l'élevage en Europe. C’est à chaque fois le même scénario. On nous annonce des millions d'euros, qu’on ne voit jamais arriver, parce qu'en fait ce n'est pas de l'argent qu'on donne aux agriculteurs, c'est soit des années blanches ou des reports de charges, et voilà. Au départ la politique agricole commune avait été mise en place pour assurer un revenu aux agriculteurs mais aujourd'hui, elle a été totalement dérégulée.
On n’arrive plus à payer nos factures, on n’arrive plus à rembourser nos dettes
RT France : Pourquoi, à votre avis, les tensions sont-elles aussi exacerbées aujourd'hui ?
A.B. : Aujourd'hui, il y a un agriculteur français qui se suicide tous les deux jours. Cela parce que nos exploitations, qui sont dans l’ensemble familiales, dont on a hérité de nos parents et de nos grands-parents, ne nous font plus vivre.
On n’arrive plus à payer nos factures, on n’arrive plus à rembourser nos dettes. C’est pour cela qu’il y a d’aussi vives tensions, autant de violence dans les propos des agriculteurs lorsque le président de la République vient au Salon de l’agriculture ou quand le Premier ministre ou même le ministre de l’Agriculture sont présents. Les agriculteurs vont perdre leurs exploitations mais on a encore envie de vivre de notre métier, parce que le métier d’éleveur passionne aussi.
Nous militons aussi pour la levée de l’embargo russe
RT France : L’Etat peut-il agir au niveau national ou est-ce à l’Union européenne (UE) de le faire ?
A.B. : Il y a plusieurs choses à faire, en fonction des secteurs. Pour l’élevage, il s’agit du problème de la concurrence déloyale, c’est-à-dire qu’on nous impose en France d’importantes contraintes sanitaires, environnementales par rapport à d’autres pays. On a aussi des contraintes sociales que n’ont pas d’autres pays d’Europe. La compétitivité, pourquoi pas, mais si on doit affronter une concurrence déloyale, c’est absolument impossible. Il faut déjà changer ça. Pour le lait, il faudrait instituer une régulation des volumes au niveau européen, car si la surproduction perdure, on aura des prix bas qui ne sont pas rémunérateurs. En France, la grande distribution prend sa marge, l’industriel ou la coopérative prend la sienne et l’agriculteur qui est en-dessous devient la variable d’ajustement car il n’a pas de marge et doit s’adapter. Il est en outre possible de rétablir un contrôle aux frontières pour intercepter les produits qui arrivent et qui ne respectent aucune norme sanitaire.
Le traité transatlantique qui est en négociation à l’heure actuelle et qui va nous porter le coup final
RT France : Quels sont vos espoirs au niveau politique ?
A.B. : Bien sûr, nous militons aussi pour la levée de l’embargo russe [sur les produits agricoles européens, notamment], la reprise du dialogue avec les partenaires russes qui correspond à une véritable attente des agriculteurs français. Et puis, nous nous opposons aussi à ce traité transatlantique qui est en négociation à l’heure actuelle et qui va nous porter le coup final [s’il entre en vigueur]. Nous demandons de la transparence, nous vivons quand même dans une démocratie, ce n’est pas normal que même nos parlementaires nationaux n’aient pas accès au dossier du Traité transatlantique [de libre-échange].