Personne ne connaissait à l’avance le détail des péripéties. Mais l’issue ne faisait aucun doute : le 19 février, le Conseil européen a scellé un « accord » entre le Premier ministre britannique et ses vingt-sept partenaires dessinant un « statut spécial » pour le Royaume-Uni au sein de l’Union européenne.
Le « bras de fer » mis en scène depuis quelques semaines n’avait qu’un seul but, confiaient les eurocrates eux-mêmes : aider David Cameron à faire valoir auprès de ses électeurs qu’il s’est « battu comme un lion ». A peine le compromis scellé, celui-ci a indiqué – ce dont personne ne doutait – qu’il ferait campagne « avec toute son âme et tout son cœur » pour que la Grande-Bretagne reste dans l’Union européenne – une question qui sera tranchée lors du référendum finalement prévu dès le 23 juin prochain.
A Bruxelles, on s’estime perdant dans tous les cas
Si la réponse à cette consultation devait être négative, ce serait un « scénario catastrophe », le début de la « désintégration » européenne, s’alarment des diplomates et dirigeants européens. Le Monde – parmi tant d’autres – a consacré deux éditoriaux à montrer la « gravité du péril ». Le Forum économique mondial (les organisateurs de Davos) a été l’un des premiers à s’alarmer dans ce cas d’un effet domino sur des pays comme les Pays-Bas, la France, et bien d’autres.
Sauf qu’à Bruxelles, on s’estime perdant dans tous les cas. Car même si les électeurs anglais devaient finalement refuser la sortie de l’Union (« Brexit »), les concessions symboliquement accordées à Londres ne manqueraient pas de faire des émules : le groupe socialiste à l’europarlement considère ainsi que le Conseil s’est soldé par une « victoire à la Pyrrhus » ouvrant la voie à une « détricotage » via la multiplication de « chantages au référendum » à prévoir dans de nombreux pays.
Il est par ailleurs prévu que le compromis sera caduc si le peuple anglais décide finalement de sortir. Une hypothèse de moins en moins improbable. Ainsi, l’aile des Conservateurs favorables au Brexit a reçu le soutien de pas moins de six ministres.
Pire encore : le lendemain du Conseil, le maire de Londres, le conservateur Boris Johnson, a indiqué qu’il ferait également campagne dans ce sens, allant jusqu’à évoquer « un processus légal de colonisation » par l’UE. « Personne ne peut prétendre que (cet accord) est une réforme fondamentale de l'UE ou de la relation de la Grande-Bretagne avec l'UE » a déclaré celui-ci, insistant sur une « perte de souveraineté » qui interdit de renvoyer par une élection les vrais responsables qui prennent les décisions essentielles.
Déjà M. Cameron a donné le ton de la campagne pour le Oui, qui n’hésitera pas à agiter la peur du chaos économique ... et de périls géopolitiques face à la Russie ou à Daech
Non seulement une telle prise de position risque peser lourd, car l’édile est très populaire, mais elle traduit une dynamique. On prête en effet à M. Johnson l’ambition de devenir Premier ministre ; on peut donc penser que ce fin politique voit dans la popularité du « Brexit » un atout pour son propre avenir.
Mais le camp du Oui compte des soutiens de poids, à commencer par la grande majorité du patronat d’outre-Manche, et, plus encore, la City, mais aussi… le président américain, qui ne manque jamais une occasion de rappeler l’importance, pour les USA, d’une Angleterre dans l’Union (et ce, pour des raisons qui remontent à l’origine même de l’intégration européenne, comme l’a excellemment montré ici John Laughland).
Déjà M. Cameron a donné le ton de la campagne pour le Oui, qui n’hésitera pas à agiter la peur du chaos économique – les agences de notation viennent de lui prêter main forte – et de périls géopolitiques face à la Russie ou à Daech. « Ce n’est pas le moment de diviser l’Occident », a-t-il ainsi cru bon d’asséner dans son discours aux Communes. En précisant que le président Poutine serait « le seul gagnant » d’un vote Non. C’est tout juste si le locataire de Downing Street n’a pas menacé de voir la Grande-Bretagne devenir une deuxième Crimée.
Reste que l’inquiétude à Bruxelles grandit. Pierre Moscovici, commissaire chargé de l’Economie, a martelé, le 21 février sur France 5, que la seule option raisonnable étant que la Grande-Bretagne reste « dans une Europe unie ». Pour confier, quelques instants plus tard : « les référendums sont dangereux, spécialement pour l’Europe ».
Un spectre hante décidément l’Europe : celui de la démocratie…