L’accord intervenu entre David Cameron et Bruxelles lui offre une bonne chance de remporter le référendum dit du «Brexit». Mais, il crée également un dangereux précédent pour l’UE.
Umberto Eco avait une fois remarqué : «Le langage de l’Europe, c’est la traduction.» Il était aussi d’avis que les gens étaient fatigués des choses simples et qu'ils cherchaient à être mis au défi. Umberto Eco a quitté ce monde le 19 février, au moment où les dirigeants de la Grande-Bretagne et de l’Union européenne étaient en train de confirmer ses perceptions.
Après deux jours de drame théâtral, David Cameron et ses collègues européens sont parvenus à un accord qui vise à maintenir le Royaume-Uni au sein de l’UE. Le Premier ministre britannique a indiqué que tout avait changé et changé complètement. Cependant, la réalité des choses est bien différente.
Déjà, le propre gouvernement de David Cameron est divisé. Des informations laissent entendre que son ministre de la Justice, Michael Gove a l’intention de mener une campagne pour le «Brexit». Il y a aussi des spéculations sur le fait que le maire de Londres, Boris Johnson, pressenti pour devenir le prochain chef du parti conservateur, est prêt à s’opposer à son Premier ministre. Reste que les sondages indiquent que le public britannique est très partagé, frôlant même la parité, sur la question de sortir ou de rester dans l’UE. La dernière enquête d’opinion montre que le camp de ceux qui veulent sortir de l’UE affiche une maigre avance de 2%.
Alors qu'il était tout sourire hier soir, dans l’environnement rassurant de Bruxelles, David Cameron sait que l’accord sera plus difficile à vendre à la maison. Bien sûr, il pourra compter à ses côtés les médias contrôlés par l’Etat, ainsi que sur la majorité de la presse privée. Les grandes entreprises vont largement l’appuyer ainsi que la majorité de l’establishment. Toutefois, les Britanniques inquiétés par l’immigration de masse et par des coûts du logement hallucinants constitueront un public à la dent bien plus dure que les eurocrates qu’il a affrontés cette semaine.
Des promesses stupides
L’ironie, bien sûr, c’est que Cameron est lui-même allé chercher ces problèmes, tout comme dans le cas du référendum écossais de 2014 qu’il a affronté aveuglement. Il a fait des promesses pour remporter les élections domestiques, sans réellement en mesurer les conséquences.
Les fondements du référendum sur le «Brexit» ont été posés lors de l’élection à la présidence du parti conservateur en 2005, après la troisième défaite consécutive du parti contre les travaillistes. Après le premier tour de scrutin, David Cameron était devancé par David Davis, député de droite qui soutenait la réintroduction de la peine de mort et la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE.
Le Premier ministre avait essentiellement utilisé l’Europe pour remporter une chamaillerie locale
A l’époque, les conservateurs avaient un tel nombre de jusqu'au-boutistes, que l’actuel Premier ministre était perçu comme une sorte de «gaucho» au sein de son propre parti.
Alors pour durcir son image, il a pris la posture d’un «eurosceptique». Promettant de retirer les conservateurs du Parti du regroupement populaire européen – auquel appartient également la CDU d’Angela Merkel – il s’est bien entendu avec la base du Parti conservateur. Revers de la médialle, cela a naturellement fortement affaibli l'influence britannique à Bruxelles.
Plus tard, en 2013, terrifié par la montée du Parti [souverainiste] UKIP qui a risqué de cannibaliser le soutien national du parti conservateur, il a proposé un referendum sur la question de quitter ou de rester dans l’UE pour courtiser les électeurs qui étaient intéressés par le groupe de Nigel Farage. La stratégie de David Cameron a aidé à obtenir une majorité conservatrice lors des élections de 2015. Mais elle l’a aussi mis dans de beaux draps. Le premier ministre avait essentiellement utilisé l’Europe pour remporter une chamaillerie locale.
Il aurait également provoqué la colère de beaucoup de monde. La Maison Blanche, habituée à dicter sa politique étrangère à Londres, s’est précipitée pour éradiquer ce plan. Le président François Hollande a ordonné au Royaume-Uni de «quitter» l’Europe après que Farage l’a contrarié durant un débat à Strasbourg. Même le Japon, pourtant très éloigné, a critiqué la proposition de Cameron.
Regardant une boule de cristal
A présent, l’avenir du Premier ministre est lié au fait qu’il s’assure que le peuple vote pour le maintien dans l’Union européenne lors du référendum qui aura lieu le 23 juin. S’il n’y parvient pas, il n’aura pas d’autre option que de démissionner. L’accord conclu à Bruxelles vendredi soir [le 19 février] n’est pas spectaculaire, même s’il n’est pas aussi léger que de nombreux eurosceptiques veulent bien le dire. Les autres dirigeants européens, bien évidemment terrifiés par la possibilité d’un Brexit ont fait des concessions importantes à David Cameron. Il a obtenu les promesses d’une dispense pour le Royaume-Uni d’une «union toujours plus étroite», de même que la reconnaissance que l’Euro n’était pas la seule monnaie de l’UE.
Combien de temps faudra-t-il avant que quelqu’un comme Nicolas Sarkozy devienne eurosceptique et que la France cherche un nouvel accord ? Ou l’Italie ? Ou l’Espagne ?
Cependant, les membres de l’est de l’Union ont saboté sa demande la plus ambitieuse : que la Grande-Bretagne puisse «contrôler l’immigration européenne en réformant ses règles de protection sociale». Dans un manifeste des conservateurs de 2015, David Cameron avait promis que les allocations familiales ne seraient plus payées aux travailleurs du Royaume-Uni dont les enfants vivaient à l’étranger. Il a aussi plaidé pour que les migrants de l’UE ne soient plus en mesure de réclamer d’allocations chômage et qu’ils soient obligés de quitter le pays s’ils restent sans emploi pendant plus de six mois.
Les espoirs déçus
David Cameron a complètement échoué sur la question qui agace le plus les électeurs britanniques : l’immigration sans entraves et les abus du système social (assez généreux) du pays. A la place, il a obtenu un morceau sur les allocations familiales, à savoir, que les descendants des «nouveaux migrants» ne pourraient recevoir que le montant des allocations versées par leur pays de résidence. En d’autres termes, le dirigeant conservateur a remporté des victoires raisonnables sur de menus détails mais a échoué dans le test le plus important. Comme un joueur de foot qui aurait bravé cinq défenseurs mais ensuite, tiré à deux mètres des buts.
Un Brexit pourrait être évité. David Cameron pourrait se préserver lui-même et préserver l’appartenance de son pays à l’UE. Ou alors, d’ici six mois, le Premier ministre Boris Johnson pourrait être à la tête d’une Grande-Bretagne fraîchement souveraine, loin de la supervision de Bruxelles. C’est aux électeurs britanniques de le décider.
Cependant, les dégâts de la politique à court-terme pratiquée par le Premier ministre à l’égard de l’UE sont incompréhensibles. A présent, tout homme politique anti-européen saura qu’en menaçant de quitter l’Union européenne, il pourra forcer Bruxelles à créer des exceptions particulières pour son pays. Combien de temps faudra-t-il avant que quelqu’un comme Nicolas Sarkozy devienne eurosceptique – pour combattre l’attrait populiste de Marine Le Pen – et que la France cherche un nouvel accord ? Ou l’Italie ? Ou l’Espagne ? Ou la Hollande ?
Vendredi soir [le 19 février], les eurocrates ont créé un dangereux précédent. L’un de ceux qui peuvent accélérer la mort de l’Union Européenne. Un jour, cela reviendra peut-être les hanter.