RT France :La France et l’Allemagne appellent à la création d’un ministère des Finances conjoint de la zone euro dont le but serait d’aider à surmonter la crise de la dette en Europe. Est-ce que vous pensez que cela serait vraiment efficace ?
Guillaume Duval : Il faut voir ce qu’il y a concrètement au-delà de l’effet de l’annonce. Il y a déjà eu des annonces de ce type dans le passé qui n’ont pas été suivies d’effets, surtout que ce n’est pas simplement une affaire franco-allemande. Il faut encore que d’autres donnent leur accord. A ce stade, on ne voit pas bien de quoi il peut s’agir, ni comment ça s’articulerait avec les institutions existantes, à savoir la Commission européenne qui a elle-même un commissaire en charge de ce sujet qui est en plus actuellement un Français – Pierre Moscovici –, les ministres des Finances nationaux et les politiques budgétaires des Etats pour l’instant ont une certaine liberté – quelle place aurait dans le tissu institutionnel ce ministre ? Il serait logique qu’il préside le conseil des ministres de l’Europe, par exemple. Est-ce qu’il remplacerait le commissaire européen chargé de ces choses-là ? Tout cela est encore très prématuré. Ce qui est vrai, c’est qu’à ce stade l’idée d’avoir une direction plus politique de la politique économique européenne, de la politique budgétaire des Etats, va quand même a priori dans le bon sens. On souffre d’avoir un système qui est trop bureaucratique. Donc si les Français et les Allemands se mettent d’accord pour mettre davantage de politique là-dedans, c’est bien. S’il s’agit simplement d’avoir un super-policier qui fait encore mieux respecter les règles, ce n’est pas forcément ce dont on a besoin.
Il y a un attachement des Européens à l’existence de l’Europe qui est plus fort que ce qu’on peut penser a priori
RT France : Vous avez évoqué un excès de bureaucratie au sein de l’Union européenne. Est-ce que la création d’une institution supplémentaire va aider à surmonter cette crise ?
G. D.: Ce qui aiderait à surmonter la crise, c’est d’avoir davantage de solidarité européenne : c’est-à-dire d’avoir des transferts et un budget européen, mais ça c’est très difficile à faire avancer. Il y a donc le plan Juncker qui est une petite amorce de choses comme ça, mais il faudrait aller plus loin et de manière plus pérenne. L’autre chose, c’est qu’il faut avancer sur des sujets comme l’harmonisation fiscale au niveau des bénéfices des grandes entreprises. Si la création de ce ministère peut être le début d’une marche plus décidée, plus rapide dans cette direction, au moins au sein de la zone euro, ce serait une bonne chose. Il y a donc un nombre de sujets comme ça sur lesquels ce type d’initiatives peut avoir un effet positif.
RT France : Pourquoi revient-on maintenant à cette idée lancée par Jean-Claude Trichet en 2011 ?
G. D.: Parce qu’il y a manifestement toujours une stagnation de la zone euro, bien que la Banque centrale ait pris des mesures très volontaristes pour soutenir l’activité dans la zone euro, pour abaisser les taux d’intérêt, etc. La reprise est très lente, on voit qu’il y a des problèmes politiques majeurs, notamment avec le montée en puissance du Front national en France, mais aussi avec la montée en puissance des partis europhobes ailleurs dans la zone euro, en Allemagne avec la montée en puissance de l’AfD. Il y a donc nécessité à la fois de faire quelque chose et d’afficher quelque chose. C’est la crainte qu’on peut avoir. Est-ce que c’est juste une petite annonce pour avoir l’air de faire quelque chose, du point de vue des dirigeants politiques, ou est-ce qu’il y a une vraie volonté d’intégration d’une gestion plus politique de la politique économique en Europe ?
Je pense qu’en particulier la survie et le rebond de l’Europe dépendent beaucoup de l’attitude du gouvernement français
RT France : Récemment, il y a eu plusieurs déclarations de dirigeants européens, comme Jean-Claude Juncker, concernant la crise très grave que traverse l’UE. Il s’y ajoute la possibilité d’un Brexit. Est-ce que vous pensez que l’Union européenne peut survivre à toutes ces crises qu’elle traverse actuellement ?
G. D.: L’Union européenne a survécu jusque-là à la crise de la zone euro, alors qu’on disait, il y a cinq ans qu’elle n’y survivrait probablement pas. Il y a donc un attachement des Européens à l’existence de l’Europe qui est plus fort que ce qu’on peut penser a priori. Angela Merkel ne pensait certainement pas en 2010, qu’on aurait fait le mécanisme européen de stabilité, l’union bancaire et ainsi de suite... On a donc réussi à faire des choses qui paraissaient impensables il y a cinq ans. On est à nouveau dans une crise importante, parce que d’une part l’économie ne repart toujours pas ou trop lentement, et d’autre part parce que la crise des réfugiés vient s’y rajouter. Cette dernière présente un danger au moins aussi grave pour la survie de l’Union que ne l’a été la crise de la zone euro dans la phase précédente. Il y a une situation qui est grave parce qu’il y a un isolement très fort et un affaiblissement de l’Allemagne qui avait tenu le rôle de leader incontesté jusque-là. Je pense qu’il y a une menace très lourde sur l’existence de l’Europe, mais je pense qu’en particulier la survie et le rebond de l’Europe dépendent beaucoup de l’attitude du gouvernement français, qui a été très absent sur ces sujets-là et en particulier sur la crise des réfugiés depuis plusieurs années maintenant. Il y a eu un sommet à ce sujet entre François Hollande et Angela Merkel le week-end dernier. J’espère que l’exécutif français va prendre des initiatives, va faire des propositions, pour contribuer à sortir l’Europe de ce mauvais pas. En tout cas je pense qu’il y a une urgence à ce que la France se réinvestisse beaucoup dans la construction européenne et dans le remodelage de cette construction. Ce qui est très inquiétant à l’heure actuelle, à mes yeux, c’est l’absence de volonté de l’exécutif français d’intervenir sur les questions européennes, de faire des propositions en Europe. Je pense que l’Europe en souffre beaucoup aujourd’hui.
Le gouvernement français devrait essayer d’avoir un langage de vérité vis-à-vis du gouvernement allemand
RT France : Est-ce que cette passivité française peut évoluer avec un nouveau président ?
G. D.: C’est assez largement le fruit d’un sentiment répandu dans toute la France et dans tous les courants politiques, à savoir que la France est devenue l’homme malade de l’Europe, qu’elle n’a plus son mot à dire parce qu’elle l’a trop affaiblie, se trompe trop, etc. Je ne suis donc pas sûr que même en cas d’alternance cela change rapidement. Le problème c’est que si l’alternance se fait avec la droite telle qu’elle est aujourd’hui, ou avec l’extrême-droite même, cela risque de se faire plutôt sur un mode anti-européen. J’espère surtout que l’exécutif, la gauche se rend compte qu’il faut dans les mois qui viennent, sans attendre l’année prochaine, prendre les initiatives dans ce domaine-là, notamment sur la crise des réfugiés.
Ce que j’attendrai du gouvernement français concernant cette crise, c’est qu’il propose un deal aux Allemands en disant «Ok, vous êtes d’accord de recevoir beaucoup de réfugiés, c’est bien d’un point de vue humanitaire, mais simplement pour que ça se passe bien en Europe, il y a une seule condition c’est qu’il faut pouvoir les recevoir à crédit. Si vous prenez l’argent qui est nécessaire pour les installer, les nourrir, les loger, les former sur d’autres budgets, on va de toute façon avoir de graves problèmes sociaux et politiques. Si vous voulez qu’on reçoive des réfugiés, qu’ils ne viennent pas tous en Allemagne, il faut accepter de desserrer l’étau budgétaire, accepter de payer sous la forme d’endettement public l’accueil des réfugiés». Le gouvernement français devrait essayer d’avoir un langage de vérité vis-à-vis du gouvernement allemand sur cette question. Je pense que c’est l’une des conditions clé pour débloquer la question des réfugiés. Pour que tous les pays cessent d’avoir peur de ça, il faut qu’on décide de la manière dont on les accueille.
RT France : Concernant l’accueil des réfugiés : il y a beaucoup d’inquiétude concernant le chômage en France, où le taux de chômage actuel atteint 10%. Il y a certainement beaucoup de Français qui s’inquiètent pour leur emploi avec l’accueil des réfugiés. Pensez-vous que cela risque d’exacerber les tensions ?
G. D.: Oui, ça risque d’exacerber les tensions. Oui, c’est un problème, mais c’est vrai que la situation humanitaire est totalement insupportable. On ne peut pas laisser les gens continuer à se noyer dans la Méditerranée, on ne peut pas laisser le Liban et la Jordanie exploser parce qu’il y a trop de réfugiés. C’est normal qu’on en prenne, c’est vrai que c’est difficile notamment en France, c’est vrai qu’il ne s’agit pas d’en prendre un million comme l’ont fait les Allemands l’année dernière, mais je pense qu’entre les 80 000 qui sont arrivés en France et 1,2 million, il y a quand même des niveaux intermédiaires qui peuvent être acceptables, et surtout si cela se fait en lâchant un peu la bride de l’austérité, si l’Allemagne accepte de payer pour qu’on accueille ces réfugiés décemment en Europe, ça facilitera quand même beaucoup les choses. En France, on a malgré tout plein de zones qui sont peu densément peuplées. Je veux dire, que des capacités d’accueil, il y en a, sans que ce soit très compliqué, en France comme ailleurs. Mais c’est vrai qu’il faut montrer que ça ne va pas grever les autres budgets surtout les budgets sociaux.