La gauche radicale française a-t-elle soutenu comme il faut la révolution chaviste au Venezuela ? Malheureusement, non, à quelques exceptions près : Maurice Lemoine, Jean Ortiz, Romain Migus, Rémy Herrera, Ignacio Ramonet et quelques autres. Mais globalement, il y a eu peu d’intérêt, peu de compréhension de ce qui se jouait là. Et guère de solidarité concrète alors que ce peuple en avait grand besoin, soumis aux attaques incessantes de l’Empire US.
C’est donc aussi l’heure des bilans et examens de conscience : laisserons-nous cet Empire US (et notre Europe complice) saboter et détruire un par un tous les pays qui résistent ? A qui le tour ? Bolivie, Equateur et Nicaragua recevront-ils davantage de soutien ?
La première solidarité sera d’essayer de comprendre cette révolution, ses formidables espoirs et ses points faibles. Sans jouer les prétentieux : le véritable bilan ne peut être établi que par les militants vénézuéliens. Et pour avoir beaucoup visité ce pays, je peux attester que le débat politique y est très vivant.
La victoire électorale de l’opposition montre des points faibles tout aussi importants qui ont bloqué la révolution
D’un côté, la révolution a apporté des résultats spectaculaires : éliminant l’analphabétisme, apportant des soins de santé et une éducation à chaque Vénézuélien, qu’il habite dans les quartiers pauvres de Caracas, au fin fond de l’Amazonie ou tout en haut de la Cordillère des Andes. Des progrès impressionnants pour l’alimentation des enfants, l’espérance de vie, la distribution d’eau potable, la connexion à l’égout, la réduction du chômage (hommes et femmes). Quiconque a visité le pays a pu le constater. L’Etat avait récupéré le contrôle du pétrole et ces revenus servaient non plus à enrichir les riches mais à réduire l’extrême pauvreté : de plus de moitié en dix ans. N’oublions jamais que l’élite qui aujourd’hui jubile à Caracas, c’est elle qui avait maintenu cette extrême pauvreté pendant que le pétrole alimentait ses comptes en banque.
De l’autre côté, la récente victoire électorale de l’opposition montre des points faibles tout aussi importants qui ont bloqué la révolution et provoqué le découragement d’une partie du peuple. Dans mon livre Les 7 Péchés d’Hugo Chavez, j’avais pointé trois faiblesses : 1. Le poids économique toujours décisif de la grande bourgeoisie liée aux USA. 2. Le poids médiatique toujours décisif de cette même grande bourgeoisie. 3. Une nouvelle corruption au sein de la révolution. Une étude toute récente d’André Crespin, Où en est le Venezuela après dix-sept ans de «socialisme du 21e siècle ?» actualise l’analyse de façon remarquable (Etudes marxistes, Bruxelles, décembre 2015, p. 77).
1. L’économie. En 2009, nous écrivions : «Le grand défi du Venezuela était de passer d’une économie pétrolière avec redistribution sociale à une économie productive s’appuyant sur plusieurs secteurs. Mais ce ne sera pas facile. Comment créer une mentalité productive qui intègre aussi les valeurs de coopération et de solidarité ? Pas simple après cinq siècles de dépendance coloniale et un siècle d’abondance pétrolière» (Michel Collon, Les 7 péchés d’Hugo Chávez, Investig’action, 2009, p. 278).
Cinq ans plus tard, on est au même point. 43% des calories sont importées, la révolution n’a pas vraiment réussi à relancer une agriculture locale. Le pays ne produit pas, il importe. Et ces importations sont contrôlées par la grande bourgeoisie liée aux USA. Elle en a profité pour spéculer, revendre dans la Colombie voisine et semer la panique aux pénuries.
2. Les médias. Le chapitre 19 de notre livre posait la question «Est-il possible de réaliser une révolution sociale sans et contre les médias ?». Constatant que les médias privés aux mains des milliardaires dominaient encore largement l’audimat, malgré les efforts pour développer la télé publique, des télés et radios régionales participatives, on avait ce paradoxe : le peuple chaviste (entre 50 et 65% selon les résultats des votes) regardait toujours la télé de ses adversaires et se faisait manipuler par cette télé dont on n’imagine pas ici le degré de manipulation et de violence.
Forcément, ça laisse des traces. En tout cas sur des personnes moins politisées. Ce problème ne pose pas qu’au Venezuela : la télé des riches, qu’elle soit locale ou internationale, diffuse une vision de l’actualité, de l’économie, des relations sociales et des relations humaines en général qui reflète la vision de l’élite et ses intérêts. En période de guerre économique, de pénuries et de paniques organisées, cela démoralise très fort.
L’opposition va devoir gouverner, elle mangera ses promesses, attaquera les acquis sociaux et révélera son véritable visage
3. La corruption au sein même de la révolution. Crespin souligne l’impact négatif de «la boli-bourgeoisie, cette nouvelle classe née de la révolution bolivarienne, installée confortablement dans l’administration du PSUV et qui profite de sa position favorable pour pratiquer corruption et népotisme, joue un rôle actif au sein du parti dont elle veut justement freiner le processus révolutionnaire et transformateur ; elle tire en effet profit de cette situation stagnante» (Etudes marxistes, Bruxelles, décembre 2015, p. 86).
Là aussi, on se trouve face à un problème qui se pose à toute révolution, et encore plus quand il y a du pétrole, donc beaucoup d’argent en circulation. Les mandataires se proclamant «chavistes» mais pensant davantage à leur portefeuille qu’à celui des citoyens ont causé un tort considérable ! Bloquant des projets importants, n’écoutant pas les doléances populaires et donnant un exemple démoralisant. Ce sera aux Vénézuéliens d’établir le bilan de la lutte contre la corruption. Mais vu que le problème se pose partout, il faut réfléchir à l’intérêt d’un contrôle populaire permanent sur les revenus de tous les mandataires et de toutes les administrations et entreprises. L’informatique le permet.
Effectivement Chávez a réussi à impulser une vie démocratique
Faut-il sombrer dans le découragement ? Non. D’abord, l’opposition va devoir gouverner, elle mangera ses promesses, attaquera les acquis sociaux et révélera son véritable visage. Ensuite, Chavez a beaucoup mobilisé et organisé, souligne Crespin : «Chávez comprend bien le défi de taille qu’il doit relever en priorité : l’organisation des masses depuis la base. Quand on a l’ambition de convertir «un État contre-révolutionnaire en un État révolutionnaire,l’implication des masses dans ce processus est indispensable» (Hugo Chávez, discours lors de la prestation de serment du nouveau gouvernement, 8 janvier 2007). Comités urbains regroupant de 100 à 200 familles, conseils communaux impliqués dans les décisions importantes qui concernent leur quartier, et surtout les misiones installées dans les quartiers pour garantir au peuple santé, alphabétisation, produits subventionnés…» Effectivement Chávez a réussi à impulser une vie démocratique participative au sein de laquelle les bases participent réellement au processus, exercent un véritable contrôle sur les élus et débattent elles-mêmes du problème et des solutions.
C’est cela qui maintient l’espoir. Si l’unité peut être maintenue (Washington essaiera évidemment de soudoyer certains cadres chavistes), si le débat se développe à propos de ces faiblesses, si les militants restent aux côtés de la population quand le nouveau pouvoir se démasquera, alors un retour est possible. Comme au Nicaragua : après une campagne de terrorisme et de panique entretenue, le néo-libéralisme a gagné une élection en 1990, mais les révolutionnaires sandinistes ont réussi à revenir.
Bien sûr l’Empire ne laissera pas faire. Et se reposera la question : que pouvons-nous faire ici pour une solidarité efficace ?
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