Chroniques

Pour Emmanuel Macron c’est la guerre, tous les jours… - Par Gilles Casanova

Pour Gilles Casanova, Emmanuel Macron utilise de manière récurrente l'argument de la «guerre» afin de pouvoir être dispensé «de tout», et principalement d'avoir à mettre en place une orientation politique clairement définie.

Il y a exactement cinq ans, à l'occasion d'une crise internationale, Emmanuel Macron a déclaré que la France était en guerre. Très tôt, lors de la crise du Covid, il a déclaré que la France était en guerre. Il a recommencé ces derniers jours entre deux photos de vacances à bord de son jet ski, à propos de la crise ukrainienne à précipiter le pays dans le conflit.

Voilà donc une des principales puissances nucléaires de la planète, membre permanent du Conseil de sécurité qui passe son temps «en guerre», si l'on en croit son chef d'État. Il y a de quoi s'inquiéter sur l'état du monde. Ou du chef d'État…

Quelles qu'en soient les occasions, Emmanuel Macron a le besoin de se montrer sous l’apparence d'un personnage du théâtre shakespearien. Quoi de plus valorisant que l'annonce de l’entrée en guerre pour prendre la posture, avoir l'allure, et marquer l’Histoire ?

Certains se contenteront d’y observer l'influence de sa professeur de théâtre, connue à 13 ans, épousée par la suite et qui est toujours sa compagne. On peut aussi faire une analyse plus politique de cet élément constant de son curieux comportement.

L'annonce de la guerre, cela dispense de tout. Cela dispense de présenter des perspectives politiques à son pays – ce qui est le rôle essentiel du président, qui n'est pas Premier ministre mais président –, cela dispense de présenter ses priorités législatives, lorsque l’on a perdu la majorité absolue à l'Assemblée nationale, cela dispense d'expliquer quelle est l'orientation politique de la formation qui s'est constituée – il y a plus de cinq ans – autour de lui et qui, récemment a déclaré, par la bouche de son Secrétaire général, qu'elle allait enfin se doter d’une orientation politique de fond…

On peut surtout y voir le fait que cela permet de cacher la réalité de la politique qu'il a choisie, et dont le succès est absolument avéré. Cette politique, c'est l'enrichissement exceptionnellement rapide de quelques dizaines de milliardaires. Ces milliardaires, qui n'ont pas ménagé leurs efforts pour l'aider à parvenir – essentiellement par la ruse – à la place qu'il occupe.

Les chiffres sont formels : la France est le premier distributeur de dividendes au monde, la France est le pays où le centile le plus riche s’enrichit le plus rapidement. Pour les quelques dizaines de milliardaires que compte la France, le premier quinquennat Macron aura été une période bénie, et la séquence du Covid qui leur a permis de voir s’envoler les chiffres de leur fortune, un moment de bonheur intense et inespéré.

On comprend bien qu’il n’est bien sûr pas question pour lui de raconter une telle politique aux «gaulois réfractaires» et à tous ces gens qui «ne sont rien» pour reprendre le vocabulaire d’Emmanuel Macron lorsqu’il parle des Français avec un peu de sincérité.

Alors, il faut chanter une autre chanson. Emmanuel Macron a lu Platon, il sait bien que ce qui compte dans la politique, c’est la représentation que se fait la population de la réalité, et non la réalité elle-même. S’il veut être un grand dirigeant il faut donc qu’il construise une fiction dramatique – de préférence tragique – dans laquelle il aura le rôle clé, le rôle décisif de rassembleur de son peuple derrière lui, pour aller courageusement au combat.

Il commencera dès le début de son quinquennat, par des déclarations tonitruantes, à se donner des allures de chef de guerre. Il faut dire que les sondeurs l'ont averti, François Hollande lui-même en a été un exemple, dès que le sentiment de la population est que la situation est grave, la guerre aux portes, les terroristes dans les rues, ou la maladie au bord de ravager le pays, la cote du dirigeant monte instantanément, dans toutes les catégories de la population, et plus spécialement chez les personnes âgées, celles qui se rendent le plus aux urnes, et celles par la grâce du vote desquelles il se trouve à l’Élysée. Les sondeurs appellent cela «l'effet drapeau». Il en usera et en abusera.

Ainsi il peut, ne jamais avoir à se justifier de sa réelle politique, une politique consciente, réfléchie, et qui vole de succès en succès, mais au bénéfice d’un nombre extraordinairement restreint de personnes. Elle déplace cependant des fortunes absolument remarquables, comme il n’en a jamais été déplacé à cette échelle depuis la seconde guerre mondiale en France, pour un nombre de personnes aussi restreint. 

Fin 2020, les 500 familles les plus riches avaient un patrimoine de 1 000 milliards d’euros. Au cours de la première année du Covid, leur fortune a progressé de 30%, alors même que la richesse produite en France – le PIB – a reculé de 8% (chiffres extraits du magazine Challenges) .

Si nous prenons les cinq premières fortunes de France, nous lisons dans le magazine américain Forbes, que depuis l’élection d’Emmanuel Macron, la fortune de Bernard Arnault est passée de 41,5 à 158 milliards de dollars. Pour la famille Bettencourt elle passe de 39,5 à 78,4. Pour François Pinault, son patrimoine passe de 15,7 à 40,4 milliards de dollars. Et le total des cinq premières fortunes françaises passe de 125,8 à 345,8 milliards de dollars. À cinq !

La banque suisse UBS et le cabinet PWC relèvent que la fortune des milliardaires français a connu ces dernières années une progression de 439 % alors qu’à périmètre égal, elle n’a été que de 175 % pour leurs homologues allemands ou 168 % pour ceux du Royaume-Uni.

Le succès français est donc remarquable, il est le produit d’une politique choisie et menée avec fermeté, d’appauvrissement du pays et d’enrichissement d’un extrêmement petit nombre.

Cela rend d'autant plus cocasse l'appel d'Emmanuel Macron, ces derniers jours, au  peuple français» pour qu'il apprenne à «payer le prix de la liberté». Payer le prix, le peuple français le fait depuis cinq ans, par l’effondrement de l’hôpital public et de l’instruction publique, comme de manière général de tous les services publics, comme celui de la lutte contre les incendies. Mais ce prix, il le paye essentiellement pour la «liberté» de s'enrichir sans limite pour un tout petit groupe rassemblé autour du président.

Quant à l’invocation du «peuple français» on ne voit pas de quelle manière il intervient sur ces événements. Que ce soit dans la crise sanitaire ou la crise ukrainienne, toutes les décisions ont été prises à Bruxelles, par madame Von Leyen, sans aucun mandat d’aucun peuple, au-delà des textes fixant les règles européennes elles-mêmes, en contradiction avec les lois françaises, sans qu’aucune autorité de la République n’intervienne, ni que le peuple français soit appelé de quelque manière que ce soit à se prononcer.

La liberté du peuple français, c'est bien là qu'elle est mise en cause, bien plus que dans les événements ukrainiens ! Et c’est bien l’exécutif actuel qui est le principal danger pour son peuple.

Une politique de faux-semblant et de spectacle, voilà le cœur de ce qui a été le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, masquant une guerre au peuple français. Une politique qui s’annonce comme devant être encore renforcée dans ce second quinquennat pour lequel il est visible qu’il n’a rien appris ni rien oublié du précédent.