Difficile d'y échapper en parcourant les articles de journaux ou en regardant la plupart des chaînes de télévision en Europe et aux Etats-Unis : l'élection présidentielle russe ne seraient au mieux qu'une non-événement joué d'avance, au pire une mascarade n'ayant de démocratique que l'apparence. Alors que le premier tour doit se tenir le 18 mars prochain, retour sur cinq idées reçues à propos de ces élections, bien plus intéressantes qu'il n'y paraît.
1) Il n'y a pas d'opposants à Poutine
C'est un leitmotiv : Vladimir Poutine ne souffrirait aucune concurrence. Pourtant, pas moins de huit candidats convoitent le poste de président de la Fédération de Russie. Il n'existe en effet que deux conditions pour pouvoir se présenter. La première est de bénéficier d'un soutien tel que défini par le code électoral. Celui-ci peut émaner d'un parti représenté à la Douma (la chambre basse du Parlement) ou d'un parti non-représenté à la Douma, auquel cas le candidat doit recueillir 100 000 signatures de soutien. Il est encore possible de présenter une candidature indépendante en réunissant 300 000 signatures.
La seconde condition, au respect de laquelle veille la Commission électorale centrale, concerne le profil judiciaire des candidats. Ainsi, les individus condamnés pour crime ne peuvent se présenter avant que dix ans ne se soient écoulés depuis le terme de leur sentence ou leur réhabilitation judiciaire. C'est parce qu'il ne remplissait pas cette condition qu'Alexeï Navalny n'a pu se présenter – il a en effet été condamné à cinq ans de prison avec sursis dans le cadre d'une affaire de fraude en 2013. Au total, huit candidats ont vu leur candidature validée par la Commission électorale centrale.
2) C'est un plébiscite, pas une vraie élection
Le mode de scrutin de l'élection présidentielle russe n'a rien d'original. Comme en France, elle se déroule en deux tours : le premier est prévu pour le 18 mars prochain et le second pour le 8 avril. Comme en France, si un candidat obtient la majorité absolue des voix dès le premier tour, il est élu sans qu'un second tour soit organisé. Lors des quatre dernières présidentielles russes (2012, 2008, 2004 et 2000), cela s'est toujours produit. Il y eut en revanche un second tour en 1996, opposant le futur président Boris Eltsine et le candidat communiste Guennadi Ziouganov.
La très forte popularité de Vladimir Poutine lui a permis d'être élu dès le premier tour à trois reprises, avec toutefois d'importantes variations de score. Ainsi, en 2000, il avait obtenu de justesse la majorité absolue avec 53% des voix, alors qu'il avait atteint 71% en 2004. D'après la tendance que révèlent les plus récents sondages, Vladimir Poutine obtiendrait cette année entre 65% et 70% des voix dès le premier tour.
3) Il n'y a pas de place pour le débat
Autre préjugé erroné que relaient de nombreux médias : l'élection présidentielle russe serait «verrouillée», notamment grâce à la présence d'une opposition fantoche. En réalité, parmi les huit candidats se trouvent des représentants de tendances couvrant un large spectre politique, du communisme de Pavel Groudinine au nationalisme de Vladimir Jirinovski, en passant par le libéralisme pro-européen de Grigori Iavlinski. Loin du consensus, leurs programmes respectifs affichent de nombreuses divergences : Xénia Sobtchak conteste par exemple l'appartenance de la Crimée à la Russie.
Outre une propagande électorale intense, les candidats disposent de nombreux rendez-vous télévisés pour faire connaître leurs idées : d'une durée de 45 minutes chacun, ces débats sont consacrés à des thématiques précises (défense, politique extérieure, économie...) et sont souvent bien plus pimentés que les débats organisés dans le cadre de l'élection présidentielle française, comme en témoigne la récente joute entre Xénia Sobtchak et Vladimir Jirinovski, la première ayant jeté un verre d'eau au visage du second, qui venait de l'agonir d'injures. Certains candidats, à l'instar de Vladimir Poutine ou Pavel Groudinine se montrent critiques à l'égard de ces exercices médiatiques et préfèrent se faire représenter par un émissaire, comme cela leur est permis.
4) Le scrutin est truqué
Les scores très élevés réalisés par Vladimir Poutine attisent souvent les suspicions des Européens habitués à des duels électoraux plus serrés – bien qu'Emmanuel Macron ait été élu avec 66% des voix en juin 2017, soit à peu près le score dont les sondages créditent Vladimir Poutine. Outre les accusations répétées de fraude émises par plusieurs candidats malheureux par le passé, certaines pratiques héritées de l'époque soviétique et ayant perduré dans les années 1990 ont pu conforter les soupçons d'irrégularités.
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Néanmoins, la Russie met un point d'honneur à garantir à chacun de ses citoyens un égal accès au vote, y compris à ceux habitant des zones reculées. Moscou s'assure également de la transparence des différentes élections. Le 5 mars dernier, Viatcheslav Volodine, président de la Douma, annonçait ainsi avoir invité 75 représentants d'Etats étrangers supplémentaires à exercer des fonctions d'observateurs. «Il s’agit de députés de parlements nationaux, de parlementaires européens et d’experts en sciences politiques», a-t-il précisé. Au total, ce sont donc pas moins de 300 observateurs originaires de 74 pays qui veilleront au bon déroulement du scrutin.
5) C'est une élection sans réels enjeux
La Russie est un régime parlementaire fortement teinté de présidentialisme : à l'instar de la France, du Portugal ou de la Pologne, le chef de l'Etat peut adopter des règlements et fixer les grandes lignes de la politique intérieure. Le président exerce en outre un rôle diplomatique élargi ainsi que la fonction de chef des armées, deux aspects peu négligeables compte tenu du contexte mondial actuel et de l'engagement de la Russie sur la scène internationale. Loin d'être boudé par les Russes, ce scrutin affiche des taux de participation entre 65 et 70% selon les années. A titre de comparaison, le taux de participation était de 74,56 % lors du second tour de la présidentielle française en 2017.
Si les autres candidats sont éliminés le 18 mars prochain, leurs résultats respectifs définiront toutefois le paysage politique pour les années à venir. D'autant que certains d'entre eux, comme Xénia Sobtchak ou Pavel Groudinine se présentent pour la première fois. La première espère asseoir sa crédibilité politique et vérifier le succès de sa reconversion. Quant au second, remplaçant le leader traditionnel du Parti communiste, Guennadi Ziouganov, il compte donner un nouveau souffle à sa formation politique, historiquement première force d'opposition à Vladimir Poutine.