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Identité numérique pour les Européens : la porte ouverte à un «crédit social» dans l'UE ?

Alors que la Commission avance sur la mise en place d'une identité et d'un portefeuille numérique, l'eurodéputé Cristian Terhes s'inquiète d'une possible dérive dans le cadre du projet de l'UE de réduire son empreinte carbone de 55% d'ici 2030.

Les citoyens européens seront-ils un jour sanctionnés pour avoir dépassé un hypothétique «quota carbone» ? Jusqu'ici, c'est un simple cauchemar dystopique réservé aux romans d'anticipation. Pourtant, cette idée pourrait bien devenir une réalité tangible à moyen terme sur le Vieux continent, à en croire l'eurodéputé roumain Cristian Theres.

Selon ce membre du groupe des conservateurs et réformistes européens, qui suit de près les travaux de l'UE sur la mise en place d'une identité numérique européenne couplée à un «portefeuille numérique» – dans lequel seront notamment stockées les informations bancaires – le danger d'une dérive vers un système de crédit social tel qu'il existe en Chine serait grand.

D'après Cristian Terhes, la mise en place du certificat Covid aurait en effet ouvert la boîte de Pandore, donnant un cadre à ce futur projet. «Vous ne pouvez pas [instaurer un crédit social] du jour au lendemain. Si vous le faisiez, l'Europe entière serait dans la rue. Ils le font par segments. Ce certificat vert a créé le système, la technologie et le cadre. C'est le premier pas. Le second pas, c'est le portefeuille européen, et l'identité numérique digitale. Cela suit le même modèle qu'en Chine. Ils veulent attribuer un lien alphanumérique à chaque citoyen de l'UE, que ces derniers garderont toute leur vie et qui sera leur identification unique», explique ainsi l'eurodéputé dans une interview accordée au média suédois News Voice le 22 janvier.

«Et aujourd'hui, ils parlent de combattre le changement climatique par exemple. D'ici 2030, ils veulent réduire leur empreinte carbone de 55%. Leur seule manière de faire ça, c'est de rationaliser tout ce que font et consomment [les citoyens de l'UE]», affirme-t-il, notant qu'à l'avenir dans beaucoup de pays d'Europe occidentale l'empreinte carbone des produits que l'on achète sera indiquée.

«Pourquoi est-ce que vous croyez que c'est mis en place ? Vous allez acheter quelque chose, vous avez votre portefeuille numérique sur votre téléphone, vous êtes liés à votre identification numérique, et vous allez acheter, disons 5 kgs de viande, de bœuf disons. Le bœuf produit tant de carbone, et vous excédez votre quota. Voilà la direction. Vous voyez beaucoup de rapports là-dessus, des rapports officiels de la Commission, du Parlement. C'est la direction. C'est la raison pour laquelle nous devons comprendre le combat, et faire en sorte de le stopper avant qu'il ne soit trop tard», prévient l'eurodéputé.

McKinsey : «La réussite de la décarbonisation dépend de l'adoption par les dirigeants du secteur public de cadres réglementaires suffisamment ambitieux»

Si le discours semble pour le moins alarmiste, il n'en demeure pas moins que le projet d'identité numérique européenne est en bonne voie. «La Commission proposera une identité électronique européenne sécurisée. Une identité fiable, que tout citoyen pourra utiliser partout en Europe pour n’importe quel usage, comme payer ses impôts ou louer un vélo», expliquait ainsi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union, le 16 septembre 2020.

Cette identité numérique sera – pour l'heure – «accessible à ceux qui le souhaitent» et vise d'une part selon la Commission à avoir un meilleur contrôle de ses données personnelles, et d'autre part à «faciliter la vie des citoyens et des entreprises», par exemple dans le cadre de la demande d'un prêt.

Rien ne dit donc que ce projet sera un jour lié, par exemple, à l'objectif de réduction des émissions carbone de l'UE. Mais les inquiétudes de Cristian Terhes sur une potentielle dérive en ce sens ne semblent toutefois pas complètement infondées. Car dans l'ombre, des technocrates sont déjà à l'œuvre. En témoigne un rapport livré à l'Union européenne par l'influent cabinet de conseil McKinsey, le 3 décembre dernier.

Pour parvenir à l'objectif de réduction des émissions de carbone que s'est fixée l'UE, McKinsey estime en effet nécessaire de faire «évoluer les normes sociales et les attentes des consommateurs et des investisseurs vers le zéro carbone comme nouvelle norme». Avec une recommandation ambigüe à l'attention des décideurs politiques : «Créer des cadres politiques et des environnements réglementaires sûrs et stables. La réussite de la décarbonisation dépend de l'adoption par les dirigeants du secteur public de cadres réglementaires suffisamment ambitieux pour atteindre les objectifs de réduction des émissions plutôt que des politiques incrémentielles.» Tout est dans ce que l'on entend par «ambitieux»...

«Cela permettrait de fournir des signaux stables en matière de planification et d'investissement, susceptibles d'encourager les technologies et les modèles économiques à faible émission de carbone», conclut Mc Kinsey dans son rapport.

Or à écouter l'intervention d'Ursula von der Leyen au forum de Davos le 20 janvier dernier, il semblerait que ce conseil ne soit pas tombé dans l'oreille d'une sourde. «Nous avons désormais la première directive européenne sur l'environnement. Cela signifie que nos objectifs climatiques ne sont plus qu'une "ambition" mais sont une obligation légale. Nous avons proposé un cadre juridique détaillé, qui garantit que nous réduisions nos émission de CO2 de 55% d'ici 2030», a-t-elle tout d'abord rappelé lors de son échange avec Klaus Schwab, soulignant l'importance de la «confiance» pour «embrasser la transition verte et digitale».

«C'est notre feuille de route pour la prochaine décennie, inscrite dans la loi. Cela donne confiance aux entreprises, qui savent que si elles investissent dans des projets climatiques, (...) les décideurs publics garderont cette trajectoire», a-t-elle ajouté, sans préciser ce qu'impliquait exactement le maintien de ce cap.

De là à conclure que la Commission préparerait un «quota carbone» pour les citoyens européens, il y a certes un monde. Mais comme le confiait de manière plus générale Cristian Terhes en conférence de presse à Bruxelles le 26 novembre dernier, mieux vaut prévenir que guérir : «Quand le certificat vert a été mis en place, le commissaire a établi un seul rapport, disant que c'était pour faciliter la liberté de mouvement et c'est tout. [...] Regardez où nous en sommes aujourd'hui. J'invite tous les journalistes d'Europe et du monde à venir voir ce qu'il se passe ici. Parce que nous ne devrions pas permettre cela. Nous ne devrions pas oublier que l'UE a été créé en opposition totale à l'Union soviétique.»

Frédéric Aigouy