Ancien dirigeant de filiale chez Alstom, Frédéric Pierucci a été arrêté en avril 2013 aux Etats-Unis où il a passé 25 mois en prison dans le cadre d'une affaire que la justice étasuniennes a pu traiter en se basant sur l'extraterritorialité du droit américain. Cette spécificité juridique confèrent aux Etats-Unis le pouvoir de poursuivre des entreprises étrangères partout dans le monde pour des faits commis hors du territoire américain, à condition que ces entreprises aient un lien avec les Etats-Unis.
Un an après l'incarcération de cet ancien haut responsable d'Alstom, en avril 2014, les agences de presse rapportaient que le conglomérat américain General Electric était en discussions avancées pour racheter Alstom.
Une concomitance qui ne doit rien au hasard selon Frédéric Pierucci qui, en 2019, a publié aux éditions Jean-Claude Lattès un livre consacré aux enjeux de l'affaire. Co-écrit avec le journaliste Matthieu Aron, cet ouvrage – intitulé en français Le Piège américain. L’otage de la plus grande entreprise de déstabilisation économique témoigne – a été publié en novembre en langue russe.
Pour l'occasion, l'ancien dirigeant de la division chaudière d'Alstom a donné le 6 décembre une conférence de presse au Centre international de presse multimédia de l'agence de presse internationale Rossiya Segodnya. Il y a évoqué certains outils juridiques développés par Washington, au service d'une guerre économique qui n'épargne pas ses alliés sur la scène internationale.
L'ancien haut responsable du groupe français est revenu notamment sur ce qu'il décrit comme «un arsenal de lois […] qui évoluent tous les ans». Il a par exemple fait référence à la fameuse législation américaine dont il a fait les frais à partir de 2013, pour une affaire de corruption en Indonésie, remontant à la décennie précédente et correspondant à des pots-de-vin qui impliquaient des consultants sollicités par Alstom.
«Ce dont on s’aperçoit, c’est que cette [...] loi anticorruption américaine, cible principalement des sociétés non américaines. 75% des amendes payées au titre de cette loi sont payées par des entreprises non américaines dont les deux tiers sont payées, en fait, par des entreprises européennes», affirme Frédéric Pierucci. Selon lui, Washington a cherché à cibler les secteurs stratégiques de pays «plutôt amis» comme la France, l'Angleterre, l'Allemagne ou encore l'Italie, en concentrant dans un premier temps ses efforts sur «l’énergie, les télécoms et la production d’électricité» avant d'aboutir à «une loi qui s’applique tous azimuts, à tout secteur d’activité».
Une guerre économique qui s'affranchit des accords internationaux ?
«A partir du moment où dans vos produits vous avez un tout petit composant américain, ils peuvent vous empêcher de l’exporter, et donc d’empêcher d’exporter votre produit fini complet», a assuré l'ancien haut responsable d'Alstom, qui explique par ailleurs comment Washington a réussi à adapter un tel arsenal juridique au service de la captation de données. «[Dès que] vous stockez vos données dans le cloud et que l’entreprise qui stocke ces données est une entreprise américaine, les autorités américaines peuvent demander à cette entreprise de leur fournir toutes vos données qui sont stockées dans le cloud si vous êtes sous enquête américaine pour une raison quelconque. En faisant cela ils bypassent les accords internationaux de transfert d’information via normalement les ministères de la Justice», a-t-il développé.
La France peut-elle récupérer le fleuron industriel qui lui a échappé ?
Frédéric Pierucci a également rappelé en quoi l'affaire Alstom, «une société plus que centenaire bâtie sur la commande publique», avait provoqué en France un électrochoc ayant débouché à un renforcement législatif anti-corruption, visant notamment à empêcher que les entreprises françaises ne soient condamnées à l'étranger. C'est le cas en particulier des lois Sapin. L'ancien dirigeant de filiale a expliqué en quoi ces mesures avaient permis à Paris de se défendre face à plusieurs offensives économiques menées par Washington.
Le rachat du pôle énergie d'Alstom par General Electric (GE) au printemps 2014 reste à ce jour un dossier hautement délicat pour l'exécutif français qui, selon des révélations de la presse économique datant du dernier trimestre 2020, serait à la manœuvre pour que la France «remette la main sur le pôle nucléaire et les célèbres turbines» cédés six ans plus tôt au géant américain GE. Un projet qui peine toutefois à avancer, à en croire une information rapportée début novembre 2021 par Le Figaro, selon qui les négociations en la matière «patinent».