La publication dans Libération, le 26 novembre, d’une enquête sur les pratiques d’une partie des représentants des 27 Etats-membres à la Cour des comptes européenne (CCE), y compris son président, Klaus-Heiner Lehne, a déclenché de sérieux remous au sein des institutions de l'UE. L'article évoquait une longue liste d'abus, dont des « primes de logements pour des domiciles fictifs», des «abus sur les notes de frais», «l’utilisation des voitures de fonction de grand luxe (avec chauffeur) à des fins privées», ainsi que des «missions non vérifiées», alors que l’institution a justement pour mission de veiller à la bonne utilisation des fonds communautaires.
L'affaire a débouché, relate Le Monde, sur l'audition, le 30 novembre, du président de la CCE devant la commission de contrôle budgétaire du Parlement européen. Audition organisée dans la précipitation, selon le quotidien, par la présidente de cette commission, l’eurodéputée allemande Monika Hohlmeier, membre de la branche bavaroise du parti chrétien-démocrate CDU. «D’après mes premières investigations, beaucoup de ce qui est écrit [dans Libération] est faux», a-t-elle réagi le 27 novembre, sur Twitter, déclenchant des critiques chez certains eurodéputés, comme Pierre Karleskind (Renew) : «En vingt-quatre heures, l’inspecteur Hohlmeier a bouclé son enquête et donné un blanc-seing à Lehne», a-t-il déploré.
Le président nie en bloc
«La plupart de allégations portées dans l'article publié par [...] Libération sont fausses», a affirmé le président de l'institution, confronté aux questions d'élus. Il a ainsi repris point par point les accusations du journal, à commencer par des indemnités de logement qui auraient été perçues pour des «logements fictifs».
Selon Libération, les 27 membres de la CCE, installée au Luxembourg, doivent vivre en permanence dans le Grand-Duché (ou à la frontière), exactement comme les membres de la Commission doivent habiter à Bruxelles. Ils reçoivent, à cet effet, une indemnité de logement mensuelle de 15 % de leur salaire (22 430 euros et 24 000 euros pour le président), soit une prime comprise entre 3 364 et 3 600 euros, sans oublier 40 000 euros pour les frais de déménagement et d’installation.
Or, avance le journal, le président aurait utilisé une adresse de pure façade au Luxembourg, sous la forme d'un appartement dans un immeuble «un peu décrépit», dans lequel il était censé vivre en colocation avec trois membres de son cabinet, moyennant un loyer très modique pour la capitale du Grand-Duché. Klaus-Heiner Lehne aurait empoché 325 000 euros depuis 2014 (date de sa prise de fonctions), soit une pure «fraude au budget communautaire» puisqu'il passerait «la majeure partie de son temps dans sa bonne ville de Düsseldorf», en Allemagne, où il continuerait à être un membre actif de la CDU.
Assurant qu'il ne rentrait à Düsseldorf que le week-end pour rejoindre sa famille, Klaus-Heiner Lehne a expliqué, devant la commission, avoir choisi cet appartement du fait de sa proximité avec la Cour. «Mais, comme il mesure 160 mètres carrés, j’en ai sous-loué une partie», a expliqué le président de la CCE lors de l'audition, jugeant que l'indemnité de logement était une «règle comptable» qu'il n'y avait pas lieu de modifier.
Quant à son activité au sein de la CDU, gênante en raison de l'interdiction faite aux membres de la CCE de poursuivre le moindre engagement politique pendant leur mandat, Klaus-Heiner Lehne a affirmé avoir «abandonné la présidence de la CDU à Düsseldorf» et n'être plus que «président honorifique». «J’ai des contacts avec mes ex-collègues, j’ai des informations sur ce qu’il s’y passe. Ce n’est pas interdit», a-t-il justifié.
Refus d'un audit indépendant
Dans ce contexte, toujours selon Le Monde, Klaus-Heiner Lehne s’est dit «d’accord pour fournir des documents à deux membres de la commission de contrôle budgétaire», mais se refuse à soumettre la Cour à un audit indépendant, comme l’ont demandé plusieurs députés Verts et Renew.
«Les auditeurs de l'UE doivent être irréprochables», ont clamé les députés du groupe Renew sur Twitter, demandant «un audit complet et l'accès à certains documents afin d'apporter de la clarté aux accusations de fraude».
Mais ils se sont heurtés au ferme refus du président de la CCE, qui a martelé que «toutes les allégations du journal Libération [étaient] fausses». Klaus-Heiner Lehne étudierait même la possibilité de porter plainte pour diffamation contre Libération. «Si vous considérez que ce qui est écrit est faux, alors portez plainte pour diffamation, mais soyez sûr de vous», lui a alors conseillé Pierre Karleskind.
Un autre acteur susceptible d'intervenir est le médiateur européen, puisqu'il a mandat pour enquêter sur des cas de mauvaise administration, mais celui-ci doit être saisi d'une plainte, et «ce n'est pas le cas à ce jour», avaient par ailleurs fait savoir le 29 novembre à l'AFP les services de cette institution. Une nouvelle réunion de la commission de contrôle budgétaire est cependant prévue le 7 décembre afin que les élus puissent poser d'autres questions sur les points non-éclaircis. Parmi eux, ces cours de français qui auraient été pris par les membres de la CCE pour 55 000 euros, dont certains en France, «à La Rochelle ou dans des villes thermales», selon Libération.