Le fonctionnement du vaste trafic sexuel dont était accusé Jeffrey Epstein, mort en prison en 2019, s'éclaire un peu plus à l'occasion du procès de Ghislaine Maxwell, grâce aux témoignages du pilote de l'avion d'Epstein, ainsi que de celui d'une des victimes d'abus sexuels.
Fille du magnat de la presse Robert Maxwell, Ghislaine Maxwell encourt la prison à vie, les douze jurés devant déterminer si elle a effectivement joué le rôle de «rabatteuse», en recrutant, entre 1994 et 2004, des jeunes filles mineures exploitées sexuellement par l'homme d'affaires, avec lequel elle a entretenu une relation amoureuse, amicale et professionnelle pendant près de 30 ans.
Le pilote se souvient de personnalités, sans les accuser
Lawrence Visoski, pilote du milliardaire de 1991 à 2019 et premier témoin appelé à la barre par l'accusation, a décrit au tribunal la relation de Jeffrey Epstein avec Ghislaine Maxwell comme étant celle d'un couple à la vie de luxe : il avait l'habitude de transporter les invités de Jeffrey Epstein, propriétaire de résidences à New York, en Floride, au Nouveau-Mexique ou dans les îles Vierges.
Interrogé le 30 novembre par l'un des avocats de l'accusée, il s'est souvenu d'avoir transporté des célébrités telles que Bill Clinton, Donald Trump, l'acteur Kevin Spacey, ainsi que le prince Andrew. Ce dernier, deuxième fils de la reine d'Angleterre, est poursuivi au civil pour abus sexuels par une victime du milliardaire américain, des faits qu'il a toujours contestés.
Lawrence Visoski n'a cependant pas accusé frontalement ces personnalités, expliquant qu'il n'avait jamais été témoin de comportements inappropriés de la part de passagers, tout en précisant que son cockpit était fermé durant le vol. Puis il a ajouté qu'il n'avait «certainement pas vu» de passager avoir des relations sexuelles avec des mineurs.
Selon lui cependant, Ghislaine Maxwell était la «numéro deux» de Jeffrey Epstein, qui se chargeait souvent de planifier des vols. Un témoignage d'employé qui s'ajoute à celui de John Alessi, ancien majordome employé au manoir de Jeffrey Epstein en Floride, qui avait insisté sur la passion de Ghislaine Maxwell pour la photographie, assurant qu'elle prenait régulièrement des photos de filles légèrement vêtues, au bord de la piscine.
Premier témoignage d'une victime, «figée par la peur »
Du côté des victimes, la première des quatre témoins citées par les procureurs a été entendue. «Jane» (dont l'anonymat est protégé), âgée de 14 ans lorsque Ghislaine Maxwell l'a approchée pour la première fois, a raconté comment le couple l'a abordée, puis amadouée avant d'abuser d'elle, exerçant une véritable emprise. Elle a accusé Ghislaine Maxwell d'avoir été présente et d'avoir parfois participé aux agressions sexuelles commises par Epstein.
«J'étais figée par la peur [...], j'étais terrifiée et je me sentais dégoûtante. J'avais honte», a-t-elle expliqué, pleurant plusieurs fois durant son témoignage. D'après son récit, Ghislaine Maxwell l'a abordée pour la première fois en 1994, près d'une colonie de vacances artistique dans le Michigan, alors qu'elle mangeait des glaces avec des amis.
Rapidement, Epstein s'est joint à eux ; le couple, après s'être intéressé aux activités artistiques de «Jane», lui a demandé son numéro de téléphone, sachant que l'adolescente vivait le reste de l'année à Palm Beach, en Floride, où le milliardaire américain disposait d'une résidence. Neuf mois plus tôt, la jeune fille avait perdu son père, emporté par une leucémie, et vivait avec sa mère et ses frères dans une maison prêtée par des amis.
De retour en Floride, Epstein a invité la mère de «Jane» à prendre le thé, multipliant les compliments sur les talents artistiques de sa fille et se présentant comme un possible soutien financier, a-t-elle raconté à la cour. Puis elle a commencé à aller seule dans la villa de Jeffrey Epstein, qui lui donnait de l'argent pour sa mère, tandis que Ghislaine Maxwell l'emmenait régulièrement au cinéma ou faire du shopping.
Un jour, alors qu'elle n'avait encore que 14 ans, Jeffrey Epstein «a juste pris ma main et m'a dit de le suivre», a-t-elle raconté à la cour. Le New York Times détaille cette partie du témoignage : à l'intérieur, Epstein l'a conduite vers un canapé et a enlevé son pantalon de survêtement. Il l'a attirée vers lui et «a commencé à se masturber», a-t-elle déclaré d'une voix hésitante. Ce qui n'a pas empêché Ghislaine Maxwell d'agir ensuite «comme si c'était normal», en lui montrant notamment «comment Jeffrey voulait être massé».
D'autres abus ont suivi, puisque Ghislaine Maxwell aurait aussi rejoint Epstein et «Jane » dans la chambre de l'homme d'affaires : pendant que les deux adultes se touchaient, ils l'auraient «guidée» pour qu'elle les rejoigne, relate le quotidien. «Jane» se souvient avoir voyagé environ dix fois avec le couple. Son contre-interrogatoire par la défense de Ghislaine Maxwell se poursuit le 1er décembre.
Un procès qui pose question
La Franco-américano-britannique, aujourd'hui âgée de 59 ans, est détenue aux Etats-Unis depuis l'été 2020 et encourt la réclusion à perpétuité. Elle se dit innocente, plaide non coupable des six chefs d'inculpation et ne devrait pas s'exprimer à l'audience.
Avant même d'avoir livré son verdict, ce procès suscite déjà la controverse. En cause, le fait que les procureurs n'aient pas décidé de poursuivre Ghislaine Maxwell par rapport aux accusations portées à son encontre par la plus médiatique des victimes présumées, l'Américaine Virginia Roberts Giuffre. Cette dernière soutient depuis des années que Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell l'ont emmenée en avion à travers le monde quand elle était âgée de 17 à 18 ans pour avoir des relations sexuelles avec des proches du «couple», dont le prince Andrew. Par conséquent, comme le rapporte notamment AP, Virginia Roberts Giuffre ne devrait pas être appelée comme témoin durant ce procès.
Le choix des trois principaux procureurs de ne pas requérir ce témoignage pourrait donc ôter un des volets clés de l'affaire, à savoir l'implication présumée de figures publiques.