L'heure de la revanche a sonné pour les partisans de l'ancien président Zelaya, renversé par un coup d'Etat en 2009, au Honduras. Son épouse, la candidate de gauche Xiomara Castro est en passe d'être proclamée présidente du pays, après les élections générales du 28 novembre.
«Je n'ai pas d'ennemis»
Les résultats partiels publiés le lendemain donnent à la femme de 62 ans une avance de 20 points sur le candidat du parti au pouvoir, le Parti national (PN, droite), qui a reconnu sa défaite. «Nous souhaitons le succès à ceux qui ont gagné les élections», a déclaré le secrétaire du Comité central du PN, Kilvett Bertrand, citée par l'AFP.
Une avance «irréversible», a assuré à l'agence de presse un ancien président du Tribunal national électoral (TNE), Augusto Aguilar. Selon son analyse après le dépouillement de 51,45% des votes, Xiomara Castro est assurée de gagner avec 53,61% des voix, loin devant Nasry Asfura, dauphin du président sortant, l'impopulaire Juan Orlando Hernandez (au pouvoir depuis 2014), qui recueille 33,87% des suffrages. L'ancien président du TNE assure que l'écart entre les deux candidats «est inédit dans l'histoire» électorale du Honduras. La participation, qui s'élève à 60%, selon le Conseil National électoral (CNE), est également qualifiée d'«historique».
L'ancienne Première dame a promis dès le 28 novembre au soir de «former un gouvernement de réconciliation» et d'instaurer une «démocratie participative». «Je tends la main à mes opposants, car je n'ai pas d'ennemis», a-t-elle dit en promettant de chasser «la haine, la corruption, le trafic de drogue, le crime organisé...»
Une fois sa victoire confirmée, Xiomara Castro va en effet devoir gouverner un pays de 10 millions d'habitants dévasté par la violence, le trafic de drogue, la corruption et deux ouragans en 2020, avec 59% de la population vivant dans la pauvreté.
Le Honduras voit de ce fait chaque année des dizaines de milliers de ses citoyens, fuyant la misère et la violence, tenter l'immigration vers les Etats-Unis. La situation ne s'est guère améliorée depuis le début de la pandémie, le chômage ayant quasiment doublé, passant de 5,7% en 2019 à 10,9% en 2020. «Notre engagement est de garantir aux jeunes qu'ici, dans leur patrie, ils trouveront ce dont ils ont besoin pour générer des opportunités et du bien-être pour leur famille. C'est une garantie et une promesse que nous avons faites», a avancé Xiomara Castro. Du côté des Etats-Unis, on suit de près ces élections et, selon de nombreux observateurs, la dernière chose que Washington souhaite actuellement serait un Honduras plus instable qu'il ne l'est déjà, auquel cas il pourrait être la source de nouveaux problèmes migratoires pour l'administration Biden.
L'ex-président Zelaya, son époux, chassé par un coup d'Etat en 2009
Le parcours politique et l'engagement de Xiomara Castro auprès des plus pauvres remonte à l'époque où elle était Première dame du pays.
Le 28 juin 2009 à l'aube, des membres des Forces armées honduriennes ont fait une descente dans la résidence présidentielle et ont arrêté son mari, le président Manuel Zelaya (au pouvoir depuis 2006). En pyjama, il a été transféré de force sur la base aérienne au sud de Tegucigalpa (la capitale du pays) et un avion militaire l'a déposé au Costa Rica, où il a été reçu par le président Oscar Arias. C'est ainsi qu'a été inauguré ce qu'on a appelé le cycle des «golpes blandos», des «coups d'Etat doux» en Amérique latine. Face à ce renversement fomenté par les milieux d'affaires et les partis de droite avec le soutien de l'armée, Xiomara Castro, craignant d'abord pour sa vie, s'est réfugiée quelques jours à l'ambassade des Etats-Unis – qui soutenaient Zelaya dans un premier temps mais dont la position s'est révélée ambigüe par la suite –, puis, le 7 juillet, l'épouse a pris la tête d'une manifestation contre le coup d'Etat et dès lors, sa présence dans les mobilisations est restée constante et ascendante, de même que sa popularité dans de larges secteurs de gauche.
L'être humain au centre
Aujourd'hui sur le point de devenir la première femme présidente de son pays, Xiomara Castro de Zelaya entend faire de la politique en mettant «l’être humain» au centre de son projet, abandonner le modèle néolibéral et cela passe, selon elle, par «une consultation populaire pour que le peuple s’organise et élise l’Assemblée nationale constituante et rédige une nouvelle Constitution».
Dans un Honduras profondément conservateur et patriarcal, Xiomara Castro a réussi à surmonter le double handicap d'être qualifiée par ses opposants de «communiste» et de marionnette de son mari, qu'elle a épousé à l'âge de 16 ans et avec qui elle a eu quatre enfants. Selon plusieurs observateurs, elle a également bénéficié d'un vote de sanction contre la droite au pouvoir depuis dix ans et dont le président Juan Orlando Hernandez lui-même est soupçonné d'être impliqué dans le trafic de drogue alors que le pays est gangrené par les cartels. Le propre frère du président, Tony Hernandez, vient d'être condamné à perpétuité pour trafic de drogue aux Etats-Unis.
Au niveau sociétal, alors que le Honduras est un pays très religieux, le président Hernandez prônait l'interdiction de l'avortement et du mariage homosexuel tandis que Xiomara Castro compte revenir sur ces deux sujets. Elle promet pour sa part de promulguer la «dépénalisation de l’avortement pour trois raisons universelles : risque pour la vie de la mère, que la grossesse soit le produit d’un viol ou que le fœtus présente des malformations».
Si elle revendique une politique de «socialisme démocratique», la future présidente a tout de même bien pris soin de se démarquer du Venezuela et de Cuba dont ses opposants se servent comme épouvantails pour la décrédibiliser, comme c'est partout la stratégie de la droite latino-américaine ces dernières années.
Meriem Laribi