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Assange trahi par l'Australie ? La position de Canberra décortiquée dans une nouvelle enquête

Le site d'investigation américain The Grayzone a mis en ligne une enquête consacrée à la position de la diplomatie australienne sur la détention du fondateur de WikiLeaks dans une prison britannique de haute sécurité.

Publiée le 17 novembre sur le site d'investigation The Grayzone, une enquête menée par le journaliste britannique Kit Klarenberg met à mal les affirmations de la diplomatie australienne selon lesquelles Canberra aurait proposé à plusieurs reprises une assistance consulaire à Julian Assange. Pire, l'Australie aurait sciemment fermé les yeux sur les difficultés traversées par son ressortissant alors qu'elle disposait de rapports alarmants sur sa condition physique et mentale. En outre, l'auteur de l'enquête pointe l'indifférence de Canberra face à une accumulation d'éléments qui auraient empêché Julian Assange de préparer sa défense convenablement.

«De nouveaux dossiers exposent la trahison, par le gouvernement australien, de Julian Assange, ainsi que ses tourments en prison», a titré le journaliste britannique qui explique avoir obtenu des éléments en ce sens de la part de la responsable juridique en Australie du fondateur de WikiLeaks.

Des démarches consulaires de façade ?

Est notamment pointée dans l'article l'inaction de Canberra face aux rapports rédigés par des fonctionnaires australiens qui ont, à plusieurs reprises, rencontré Julian Assange dans les services pénitentiaires britanniques. Ainsi, le ressortissant australien incarcéré aurait informé ses visiteurs, dès le mois de mai 2019, qu'il avait été menacé de se voir retirer certains de ses droits en prison par un officier qui, particulièrement hostile à son endroit, aurait affirmé avoir retrouvé une lame de rasoir dans sa cellule. L'auteur de l'article note que ce qui aurait pu être considéré comme une indication claire d’intention suicidaire a été enregistré comme une simple question disciplinaire, sans que cela n'inquiète pour autant Canberra.

Julian Assange aurait par ailleurs confié aux mêmes fonctionnaires avoir subi des analyses de sang le diagnostiquant séropositif, avant que n'interviennent des examens ultérieurs révélant des résultats contraires. Le journaliste et lanceur d'alerte australien aurait alors déclaré que cette erreur de diagnostic pouvait potentiellement être «autre chose» qu'une coïncidence, comme on peut le lire dans un extrait de rapport publié par The Grayzone. 

Pourquoi le haut-commissaire australien n’est-il pas intervenu pour exiger des éclaircissements immédiats sur une question d’urgence vitale ?

Rappelant en outre que Julian Assange avait été transféré, à la fin du mois de mai 2019, dans le service médical de la prison britannique, l'auteur de l'article fait part du manque de détermination dont aurait fait preuve à l'époque Canberra, afin d'obtenir des informations claires sur la situation de son ressortissant. «Les documents fournis à The Grayzone indiquent que Canberra a effectivement demandé à plusieurs reprises des renseignements à Belmarsh [...] et que toutes ces demandes sont restées sans réponse pendant six jours consécutifs. Pourquoi le haut-commissaire australien n’est-il pas intervenu pour exiger des éclaircissements immédiats sur une question d’urgence vitale ?» interroge ainsi Kit Klarenberg.

Sur la base des documents qui lui ont permis de mener son enquête, le journaliste britannique évoque aussi le déplacement à Belmarsh, le 1er novembre 2020, de représentants consulaires australiens auprès de qui «Julian Assange a critiqué les fausses déclarations médiatiques [de la diplomatie australienne] qui laissaient entendre qu'il aurait rejeté les offres d'assistance qui lui avaient été faites». Le ressortissant australien emprisonné leur aurait également expliqué que son état psychologique était si mauvais que «son esprit s’éteignait», l’isolement quasi permanent l'empêchant «de penser ou de préparer sa défense».

Un ressortissant oublié au profit d'une alliance entre services de renseignement ?

Bien que le sort de Julian Assange ait fait l'objet de nombreuses pétitions, de communiqués ou encore de lettres parues dans des revues scientifiques, sans oublier les nombreux cris d'alerte du rapporteur de l'ONU sur la torture, force est de constater que la diplomatie australienne a pour l'heure privilégié la retenue concernant le calvaire enduré par son ressortissant.

Il est à noter que depuis son incarcération dans la prison de Belmarsh le 11 avril 2019, de nombreux experts se sont inquiétés, publiquement, d'une détérioration de la santé de Julian Assange. Ont notamment été mis en avant des troubles de la concentration, des hallucinations, des pensées suicidaires, une perte de poids ou encore un manque de sommeil.

Ainsi que le suggère l'auteur de l'enquête publiée sur The Grayzone, la position australienne pourrait en partie s'expliquer par l'alignement récurrent de Canberra sur la politique étrangère américaine. Le journaliste britannique Kit Klarenberg rappelle en outre l'existence d'une alliance entre les services de renseignement de l'Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, baptisée les «Five Eyes», et qui remonte à la Seconde Guerre mondiale. 

En tout état de cause, s'il s'est déjà défendu d'avoir abandonné Julian Assange, le gouvernement australien a également concédé ne pas vouloir remettre en cause les démarches juridiques qui empêchent le fondateur de WikiLeaks de recouvrer sa liberté. «L'Australie n'est pas impliquée dans l'affaire et continuera à respecter la procédure judiciaire en cours», a notamment écrit le ministère australien des Affaires étrangères dans un communiqué paru le 5 janvier 2021.

Une position qui n'a pas empêché Canberra de dénoncer publiquement, dès 2010, «les activités illégales» attribuées à son ressortissant par les Etats-Unis, au moment où l'administration américaine a commencé à qualifier Julian Assange de «terroriste high-tech» ou encore de «combattant ennemi». «N'essayons pas de mettre de l'eau dans notre vin. […] Certaines informations ne seraient pas sur WikiLeaks s'il n'y avait pas eu d'acte illégal», avait par exemple déclaré, en décembre 2010, Julia Gillard, Premier ministre australien de l'époque. L'Australie s'est en revanche montrée plus discrète face aux récentes révélations de la presse islandaise qui ont mis à mal l'authenticité des principales allégations américaines visant son ressortissant.

En date du 20 novembre, le fondateur de WikiLeaks est toujours maintenu en détention dans la prison de Belmarsh du fait des nouvelles démarches juridiques américaines via lesquelles Washington continue de réclamer son extradition outre-Atlantique, après avoir essuyé un premier refus à ce sujet de la part de la justice britannique, le 4 janvier 2021

Fabien Rives