Lors de deux journées d'audience en appel les 27 et 28 octobre, les Etats-Unis ont tenté par tous les moyens de rassurer les juges britanniques sur le traitement qui serait réservé à Julian Assange s'ils acceptaient de l'extrader. Un argumentaire balayé par les avocats du journaliste qui ont mis en évidence ce qui leur apparaît être comme des promesses incohérentes et peu fiables en raison des informations révélées de projets d'enlèvement et d'assassinat de Julian Assange par les services de renseignement étasuniens.
Minimiser sa dépression et promettre de bien le traiter
Le procureur américain James Lewis s'est ainsi attelé lors du premier jour d'audience à donner des garanties de bon traitement du fondateur de WikiLeaks.
C'est en effet la crainte pour sa santé mentale et du risque de suicide qui avait motivé la décision de la justice britannique de refuser l'extradition de Julian Assange le 4 janvier. Pour gagner en appel, James Lewis a notamment promis que le fondateur de WikiLeaks bénéficierait de tous les soins nécessaires et ne serait pas soumis à des mesures spéciales ni ne serait détenu dans le redouté centre pénitentiaire de très-haute sécurité ADX Florence, dans le Colorado, surnommé l'«Alcatraz des Rocheuses» où sont détenus à l'isolement quasi total des membres d'Al-Qaïda.
L'avocat du gouvernement américain est même allé jusqu'à soutenir que la peine encourue par Julian Assange ne devrait pas excéder 63 mois de prison. Pour affirmer cela, il s'appuie sur la plus longue peine prononcée à ce jour en vertu de la loi sur l'espionnage, dans le cadre de laquelle est poursuivi le fondateur de WikiLeaks qui a publié des révélations sur des crimes de guerre de l'armée américaine. En réalité, poursuivi dans le cadre de l'Espionage act et pour piratage informatique, Julian Assange encourt aux Etats-Unis 175 ans de prison.
Devant les profonds doutes exprimés par la défense, James Lewis a juré que ces assurances diplomatiques sont présentées comme «une question solennelle». «On ne les distribue pas comme des Smarties», a-t-il insisté.
Le procureur américain a en outre consacré une grande partie de son argumentaire à tenter de décrédibiliser les expertises psychiatriques qui avaient convaincu la juge Vanessa Baraitser de la fragilité de l'état de santé de Julian Assange en janvier. Les Etats-Unis veulent ainsi convaincre que l'expert psychiatrique Michael Kopelman, chef du service de neuropsychiatrie au King's College de Londres, qui avait pointé en septembre 2020 le «risque très élevé de suicide» d'Assange en cas d'extradition, aurait «trompé» la justice en «dissimulant» que son patient était devenu père alors qu'il était cloîtré à l'ambassade d'Equateur à Londres. Selon la défense d'Assange, l'expert avait décidé de lui-même de taire cette information car il avait des craintes quant à la sécurité de la compagne d'Assange Stella Moris et de leur deux enfants en bas âge en révélant leur existence publiquement.
Un procureur qui se substitue aux médecins
Pour tenter de relativiser la gravité de l'état de santé mentale du journaliste emprisonné, le procureur américain est allé jusqu'à mettre en doute le diagnostic de syndrome d'Asperger (spectre de l'autisme) dont est atteint Julian Assange, arguant qu'il avait bénéficié de la garde de son premier enfant à l'âge de 20 ans et que les autistes, selon lui, n'obtenaient généralement pas la garde de leurs enfants.
Une affirmation qui a indigné la compagne de Julian Assange. «Aujourd'hui, devant le tribunal, le gouvernement américain a outrageusement soutenu que les personnes atteintes de troubles du spectre autistique ne devraient pas être des parents : ils ont affirmé que les personnes atteintes de TSA [trouble du spectre de l'autisme] n'auraient pas la garde de leur propre enfant», a écrit Stella Moris sur son compte Twitter, en postant une photo de son compagnon avec leur fils Max dans l'ambassade d'Equateur à Londres.
Le procureur américain a aussi appelé à relativiser l'état de dépression de Julian Assange, pourtant attesté par les psychiatres. Comme un expert médical, il a affirmé que Julian Assange n'avait «aucun antécédent de maladie mentale grave et durable», assurant que même les experts mandatés par sa défense ne le trouvaient que «modérément déprimé», allégeant ainsi à son gré leur diagnostic et celui des médecins qui avaient accompagné le rapporteur de l'ONU sur la torture Nils Melzer. Ils avaient alors estimé que Julian Assange présentait «tous les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique» ainsi qu’une «anxiété chronique et des traumatismes psychologiques intenses».
Mais pour le procureur américain, ce ne sont que des simagrées. James Lewis a ainsi affirmé que l'Australien avait «toutes les raisons d'exagérer ses symptômes» et mis en garde contre une décision reposant sur des prédictions faites dans une «boule de cristal» concernant son sort en cas d'extradition. Une boule de cristal que la défense de Julian Assange lui a renvoyée en miroir, arguant que rien ne permettait de croire aux promesses de bon traitement en cas d'extradition.
«Surréaliste» que ceux qui ont planifié de le tuer promettent de bien le traiter
Au deuxième jour d'audience le 28 octobre, la défense de Julian Assange a pu à son tour exprimer ses réserves quant aux promesses américaines, et insisté sur le risque élevé de suicide en cas d'extradition vers les Etats-Unis. Elle a par ailleurs pointé l'«obsession de vengeance» de la CIA contre Julian Assange et exhorté les juges britanniques à mener une enquête indépendante sur les mesures agressives de la CIA visant son client, y compris concernant le plan avorté en 2017 pour enlever Assange de l'ambassade d'Equateur, voire de l'assassiner. Un plan détaillé dans un récent article de Yahoo News qui a défrayé la chronique.
La défense d'Assange a ainsi interrogé les juges britannique sur la crédibilité des garanties promise par le procureur américain à la lumière de ces informations. Mark Summers, l'un des avocats d'Assange, a affirmé que c'était «la première fois que les Etats-Unis sollicitaient l'aide d'un tribunal britannique pour obtenir compétence» sur une personne qu'une agence gouvernementale américaine avait projeté d'empoisonner ou d'assassiner. Comprendre la CIA.
Même sentiment pour la fiancée de Julian Assange qui a trouvé «surréaliste» l'expérience d'entendre les représentants du «pays qui a comploté pour assassiner Julian [Assange] dire à un tribunal qu'il sera en sécurité entre leurs mains». Le procureur américain n'a fait aucun commentaire sur ces informations durant les audiences.
La décision des juges britanniques n'est pas attendue avant plusieurs semaines. «Vous nous avez donné beaucoup de grain à moudre et nous prendrons notre temps», a déclaré sans donner de date le juge Ian Burnett, chargé du dossier avec un autre haut magistrat, à l'issue de deux jours d'audiences. Quelle que soit cette décision, le perdant aura la possibilité de demander à saisir la Cour suprême britannique.
La seule possibilité pour arrêter ce spectacle judiciaire que d'aucuns qualifient de criminel serait une décision politique de Joe Biden d'abandonner les poursuites contre ce journaliste. Une décision à laquelle l'exhortent d'innombrables ONG de défense des droits de l'Homme et de la liberté de la presse, mais aussi des médecins, des avocats, et de très nombreuses personnalités du monde politique et artistique. Jusqu'à ce ce jour, Joe Biden n'a donné aucun signe d'inclination dans ce sens. Le président démocrate semble poursuivre le chemin de la persécution judiciaire entamée sous Barack Obama et accentuée sous Donald Trump.
En attendant, Julian Assange, qui n'a pas été autorisé à assister physiquement à ces audiences où se joue sa vie, est apparu, prostré, épuisé, en visioconférence depuis une salle de la prison de haute sécurité de Belmarsh où il est détenu depuis deux ans et demie avec de longues périodes d'isolement.
Meriem Laribi