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Algérie : deux ministères interdisent l'usage du français sur fond de crise diplomatique

Deux ministères algériens ont émis des notes internes imposant l'usage exclusif de l’arabe et interdisant de ce fait le français. Des initiatives qui surviennent au milieu d'une crise diplomatique entre Paris et Alger.

La politique linguistique algérienne varie-t-elle au gré des fluctuations diplomatiques entre la France et l'Algérie ?

Alors que la tension n'a cessé de monter ces dernières semaines entre Paris et Alger sur fond de piques historico-politiques, en Algérie, deux ministères ; celui de la Formation professionnelle et celui de la Jeunesse et des Sports, ont ordonné le 21 octobre l'utilisation «exclusive» de la langue arabe dans leur documentation officielle, dans l'enseignement et dans toutes les communications liées à leur fonctionnement. Sans le mentionner explicitement, les deux notes interdisent de fait l'utilisation de la langue française.

Pour l'heure ni les services du Premier ministre ni ceux de la présidence algérienne n'ont communiqué d'instruction allant dans le sens des deux ministères qui semblent avoir pris des initiatives individuelles et non concertées avec l'ensemble du gouvernement. Mais la mesure semble inspirer d'autres secteurs puisque selon le site TSA, le directeur de la santé de Guelma (nord-est) a demandé le 26 octobre aux structures hospitalières de sa wilaya (préfecture) d’adopter l’arabe dans leur communication et envois de courriers «tout en incitant les médecins à prescrire des ordonnances en arabe, sans tenir compte de la logistique nécessaire pour faire ce basculement».

Ces instructions se réfèrent à l'article 3 de la Constitution stipulant que l'arabe est «la langue nationale et officielle» du pays et que «l’Etat œuvre à sa promotion». Mais depuis leur publication, le débat public sur la question linguistique, vieux de 50 ans en Algérie, a ressurgi opposant les défenseurs de l'arabisation totale à ceux qui défendent l'utilisation du français et les bérbéristes qui défendent pour leur part l'utilisation de la langue tamazight, reconnue langue officielle en 2016.

Du côté des promoteurs de la seule langue arabe, on se félicite des initiatives ministérielles. «Ce document [le communiqué du ministère de la Jeunesse et des Sports] souverain tardif d'un demi-siècle d'arrêt du combat et de l'autodétermination redonne espoir à la nation pour que l'Algérie ne reste plus française», a écrit Ahmed Bennamane, écrivain et ardent défenseur de la langue arabe sur son compte Facebook

Quant à Saïd Djabelkhir, islamologue condamné en avril pour atteinte aux préceptes de l'islam, il a préféré tacler les dirigeants algériens : «Le jour où on s'assurera que vos enfants ne fréquentent plus le lycée français, vous pourrez parler d'arabisation !» Dans un récent article du Monde, il est en effet mentionné que chaque rentrée scolaire est l'occasion de «demandes insistantes» des cercles dirigeants algériens pour inscrire leurs enfants au lycée international français Alexandre-Dumas, à Alger. «Le ministère algérien des affaires étrangères présente ainsi à l’ambassade de France une longue liste de diplomates et de hauts fonctionnaires désirant une inscription», rapporte le quotidien qui ajoute que la pression est «excessive» et que pour cette rentrée 2021, le lycée français comptait 2 005 élèves, dont seulement 906 sont français.

L’arabisation, douloureuse pour la France ?

Parmi les intellectuels algériens, certains s'interrogent également sur le mal que pourrait faire à la France l'arabisation totale de l'Algérie. «Certains pensent qu'en interdisant [...] la langue française dans la société algérienne, ils puniraient la France. C’est une grossière erreur. On se punit soi-même», note le linguiste Abderrazak Dourari, cité par TSA. «C'est l'Algérie qui risque de beaucoup perdre en tournant le dos brusquement à une langue étrangère qu’une grande partie de ses élites maîtrise et pour laquelle elle constitue l’unique fenêtre sur le monde de la recherche, sans garantie de la remplacer dans des délais raisonnables», abonde le journaliste Ryad Hamadi. «Une arabisation brutale risque de provoquer beaucoup plus de dégâts à l’Algérie qu’elle n’en fera pour la France, car cela signifie la mobilisation de moyens colossaux, et l’abandon de compétences algériennes qui ont été formées en français», ajoute-t-il. 

Les relations franco-algériennes connaissent depuis quelques semaines un grand froid après des propos du président Emmanuel Macron qui a accusé le «système politico-militaire» algérien d'entretenir une «rente mémorielle» autour de la guerre d'indépendance.

L'Algérie a immédiatement rappelé son ambassadeur en France le 3 octobre en signe de protestation et interdit le survol de son territoire aux avions militaires français qui desservent le Sahel où sont déployées les troupes de l'opération antidjihadiste Barkhane. Le ministre algérien des Affaires étrangères a alors dénoncé une «faillite mémorielle» du président français et appelé certains dirigeants étrangers à «décoloniser leur propre histoire».

Il faut dire que les propos d'Emmanuel Macron ont dû grandement surprendre les autorités algériennes qui avaient loué quelques mois plutôt le locataire de l'Elysée. Pour rappel, dans un entretien accordé au Point en juin, le président algérien Abdelmadjid Tebboune affirmait que son homologue français avait toute son estime. «C’est le plus éclairé d’entre tous. Les autres présidents avaient tous une histoire avec l’Algérie», a estimé le chef d'Etat algérien. «Si nous n’arrivons pas à jeter des passerelles solides entre les deux pays sous la présidence Macron, cela ne se fera jamais et nos pays garderont toujours une haine mutuelle», n'avait pas hésité à lancer Abdelmadjid Tebboune qui depuis, a dû se raviser.

Au milieu de cette crise diplomatique, la France a également appelé au «respect» de sa souveraineté par Alger, après que l'ambassadeur d'Algérie en France a incité la communauté algérienne à «constituer un levier de commande» pour intervenir dans la «vie politique française», comme algérienne.

Meriem Laribi