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«Nous n'avons pas de meilleur allié» : Antony Blinken loue la Colombie d'Ivan Duque

Le secrétaire d'Etat américain n'a pas tari d'éloge sur le gouvernement conservateur colombien. L'administration Biden ne se distingue ainsi en rien de celle de Trump dans la région, poursuivant l'application de la doctrine Monroe.

En tournée en Amérique du Sud, le chef de la diplomatie étasunienne Antony Blinken a fait l'éloge de la Colombie du président de droite libérale Ivan Duque, son «meilleur allié» dans la région.

«Nous n'avons pas de meilleur allié sur tous les sujets que nos démocraties affrontent dans la région», a déclaré Anthony Blinken, au cours d'une conférence de presse commune avec le président colombien à Bogota, le 20 octobre. Une déclaration de la diplomatie Biden qui ne se distingue pas de celle de l'époque de Donald Trump, poursuivant l'application de la doctrine Monroe dans le sous-continent américain : tendre avec les gouvernements de droite libérale alignés sur Washington et intransigeant avec les gouvernements de la gauche socialiste et souverainiste. Pourtant, l'actuel président Ivan Duque, dont le mentor Alvaro Uribe (président de 2002 à 2010) est accusé d'accointance avec certains milieux de narcotrafic, est pointé du doigt pour mener une répression féroce contre les leaders sociaux et syndicaux dans le pays.

Léger sermon sur la répression et la violence

La répression des manifestations antigouvernementales du mois de mai, qui a fait plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés dans le pays, a poussé de nombreux observateurs – et jusqu'à l'ONU – à s'alarmer de l'état des droits de l'Homme en Colombie sous la gouvernance d'Ivan Duque. Les Etats-Unis s'étaient pour leur part contentés d'un unique et court communiqué dans lequel ils se limitaient à appeler à la mesure, tout en condamnant les violences parmi les manifestants et en exprimant un soutien inconditionnel au gouvernement colombien.

[La Colombie] est un modèle pour la région et aussi un modèle pour le monde

Cinq mois plus tard, le secrétaire d'Etat américain a sobrement appelé le gouvernement colombien à prendre ses responsabilités concernant ces manifestations et tous les abus contre les droits de l'Homme. Il a ainsi souligné le 20 octobre que la recherche de «responsabilité» dans les violations des droits humains commises pendant des décennies de conflit en Colombie et les récentes manifestations antigouvernementales étaient «essentielles» pour prévenir de futurs abus. Et notamment pour prévenir «les attaques contre les défenseurs des droits humains, les journalistes et d'autres dirigeants de la société civile». «Mettre fin à l'impunité telle que nous la connaissons est également l'un des meilleurs moyens d'empêcher d'autres abus à l'avenir», a-t-il ajouté.

Au moins 42 personnes ont été tuées et 2 000 blessées lors des manifestations de mai, nées d'un ras-le-bol politique et social dans un pays où la violence extrême est quotidienne sur fond de narcotrafic. La Colombie reste le premier producteur mondial de cocaïne et les Etats-Unis le principal consommateur. La lutte affichée des autorités alliées des deux pays n'est pas venue à bout de ce commerce à la source de toutes les violences en Colombie depuis 50 ans.

L'épouvantail vénézuélien

S'il ne pouvait passer à côté de cette réalité, Antony Blinken a néanmoins consacré la plus grande partie de son propos à féliciter son allié colombien, notamment sur le dossier des migrants vénézuéliens.

«La Colombie a démontré une énorme générosité en accueillant près de deux millions de migrants vénézuéliens déplacés par l'actuelle crise humanitaire au Venezuela», a loué le secrétaire d'Etat. «Je vous applaudis, je vous félicite pour votre vision et votre leadership», a-t-il encore dit au dirigeant colombien, soulignant que ce que la Colombie était «un modèle pour la région et aussi un modèle pour le monde». Ivan Duque en a immédiatement profité pour fustiger à nouveau ce qu'il qualifie de «dictature oppressive, corrompue et narcotrafiquante» au Venezuela.

Dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères, le Venezuela a dénoncé la visite de Blinken en Colombie comme s'inscrivant dans «une stratégie soutenue d'agression contre le peuple vénézuélien et ses institutions démocratiques» au moment où Bogota traverse «l'une des pires convulsions sociales de son histoire en raison de la mauvaise administration d'Ivan Duque». Caracas ajoute que «de manière opportuniste», le président colombien «cache son échec derrière le soutien inconditionnel» qu'il reçoit du gouvernement américain.

Le même jour, le président vénézuélien a de son côté estimé que le Venezuela et la Colombie, qui n'ont plus de relations diplomatiques depuis 2019, devaient «normaliser» leurs rapports. Caracas avait rompu les relations après la reconnaissance par la Colombie de Juan Guaido comme président par intérim. «Nous devons résoudre nos problèmes, régulariser, normaliser les relations commerciales, productives, économiques. Nous devons normaliser les relations consulaires, diplomatiques», a dit Nicolas Maduro à la télévision nationale en saluant une initiative du Sénat colombien qui propose de créer une commission parlementaire binationale sur les relations entre les deux voisins partageant 2 200 kilomètres de frontières terrestres.

Le chef d'Etat vénézuélien a toutefois accusé dans le même temps le président colombien Ivan Duque de ne pas fournir d'assistance consulaire aux Vénézuéliens vivant en Colombie, où sont réfugiés près de deux  millions de ressortissants ayant depuis 2013 fui la crise économique et politique dans leur pays. Une crise engendrée, selon Caracas, par le poids des sanctions américaines et internationales à son encontre.

L'intransigeance de Washington concernant les gouvernements de gauche en Amérique du Sud trouve sa justification dans le traitement réservé selon elle aux opposants dans des pays comme le Venezuela ou Cuba. Washington demeure néanmoins bien moins regardant lorsqu'il s'agit du traitement des opposants dans la Colombie de Duque ou le Chili de Piñera. Une tradition de deux poids deux mesures confirmée par le discours d'Antony Blinken à Bogota.

Meriem Laribi