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«Recel de crimes contre l’humanité»: la France ouvre une enquête sur des groupes opérant au Xinjiang

La France a décidé d'ouvrir une enquête, après une action en justice qui visait des groupes disposant d'unités de production dans le Xinjiang. Celle-ci s'inscrit dans une campagne plus vaste, non dénuée de motivations politiques.

Confiée au pôle des «crimes contre l’humanité» qui dépend du Parquet national antiterroriste (Pnat), une enquête pour «recel de crimes contre l’humanité» a été ouverte, fin juin, à Paris. Deux mois plus tôt, trois ONG avaient déposé une plainte auprès de la justice française contre plusieurs multinationales disposant d'unités de production textile dans le Xinjiang.

Pour rappel, cette région autonome chinoise fait l'objet depuis plusieurs années d'une attention médiatique et politique particulière. Des chancelleries occidentales, médias et ONG dénoncent régulièrement une répression de la population ouïghoure locale (une minorité ethnique musulmane) par Pékin qui, de son côté, se défend de toutes allégations en ce sens.

«Cette action ne vise pas directement les autorités de la République populaire de Chine [...] mais les multinationales aux marques connues qui sont accusées de profiter du système de répression mis en place par Pékin dans [le Xinjiang], cette région stratégique proche de l’Asie centrale», a rapporté Mediapart.

Comme le relève par ailleurs Le Monde, une plainte a été déposée début avril par le collectif Éthique sur l’étiquette, l’association Sherpa, l’Institut ouïghour d’Europe et une exilée ouïghoure. Elle vise Uniqlo France (qui s’était engagé, en 2020, à boycotter le coton du Xinjiang), le groupe japonais Fast Retailing, Inditex (qui détient les marques Zara, Bershka, Massimo Duti), SMCP (Sandro, Maje, De Fursac…) et le chausseur de sport Skechers.

Le rapport d'une ONG liée à des gouvernements occidentaux

Toujours selon Le Monde, la plainte en question s’appuie principalement sur un rapport publié en mars 2020 par l’ONG Australian Strategic Policy Institute (ASPI), qui dénonçait «la commercialisation de vêtements ou de chaussures fabriqués en totalité, ou en partie, dans des usines où des Ouïgours sont soumis au travail forcé». Fait notable, au-delà des millions de dollars que l'ONG reçoit du gouvernement australien – engagé depuis un certain temps dans un bras de fer diplomatique avec Pékin –, son travail portant sur la Chine est également financé par les administrations américaine et britannique, qui partagent une hostilité commune à l'endroit du gouvernement chinois.

De son côté, la diplomatie française a également, à plusieurs reprises, haussé le ton envers Pékin concernant le dossier des Ouighours du Xinjiang. En juillet 2020, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, avait par exemple tonné contre «les camps d'internement pour les Ouïghours, les détentions massives, les disparitions, le travail forcé, les stérilisations forcées, la destruction du patrimoine culturel ouïghour et en particulier des lieux de culte, la surveillance de la population et plus globalement tout le système répressif mis en place dans cette région».

Alors que les dénonciations visant le Xinjiang se multiplient depuis plusieurs années, l'indignation des gouvernements occidentaux se montre plus discrète à l'égard d'autres pays accusés de travail forcé ou de mépris des droits humains. A titre d'exemple, les sanctions antichinoises récemment mises en place par l'Union européenne face aux «violations graves des droits de l'Homme» n'ont pas eu d'équivalent à l'égard du Qatar, où selon Amnesty International, des travailleurs et travailleuses étrangers ont été «soumis à une exploitation et des violences généralisées, notamment à du travail forcé ou non payé et à des horaires excessifs» durant une décennie (depuis 2017, le gouvernement du Qatar a signé un accord avec l’OIT, s’engageant à lutter contre l’exploitation généralisée des travailleurs et travailleuses).

Un militantisme aux échos politiques

Au sein de la classe politique française, l'eurodéputé Raphaël Glucksmann – qui fait l'objet de sanctions chinoises – s'est réjoui de l'ouverture d'une enquête française pour «recel de crimes contre l’humanité», se félicitant sur les réseaux sociaux d'un événement «historique», «énorme», avant de prôner auprès de sa communauté d'abonnés une extension du «combat» au niveau supranational, en appelant au «devoir de vigilance européen».

Or, si Raphaël Glucksmann est le fer de lance de la cause ouïghoure au Parlement européen, l'essayiste et ex-conseiller de Mikheil Saakachvili (président de la Géorgie de 2008 à 2013) a également multiplié les prises de position contre Pékin – au-delà de la seule situation dans le Xinjiang. L'eurodéputé (qui, ironie, préside la Commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne) s'en est notamment pris à la gestion des débuts de la pandémie de Covid-19 par Pékin, aux «complaisances de l'OMS avec le régime chinois» ou encore à la politique menée par les autorités hongkongaises. Un exemple illustrant la dimension très politique dans laquelle s'inscrit, aussi, l'activisme occidental sur le dossier ouïghour.