C’est verbalement que, le 17 juin dernier, Monseigneur Paul Richard Gallagher, secrétaire chargé des relations avec les Etats, a demandé au gouvernement italien de réviser son projet de loi Zan (du nom du parlementaire et activiste LGBT Alessandro Zan) portant sur l’homophobie et la transphobie, selon Il Corriere della Sera.
Cette intervention publique du Saint-Siège dans le processus délibératif italien est inédite dans l'histoire récente des relations entre les deux Etats. La secrétairerie d’Etat du Vatican a avancé qu'une telle législation violerait le Concordat de 1984 qui régit les rapports entre l’Eglise catholique et l’Etat et a dans la foulée exprimé ses inquiétudes vis-à-vis de la liberté de pensée et d'opinion des croyants.
Le Concordat est une rénovation des Accords du Latran, signés le 11 février 1929 entre Benito Mussolini et le cardinal Pietro Gasparri et qui mettaient fin à la «question romaine» depuis l’unification de l’Italie et la fin des Etats pontificaux. La «question romaine» renvoie au processus d'unification de l'Italie et au conflit entre la papauté et la toute jeune monarchie italienne au sujet du pouvoir temporel du Pape mais aussi des territoires des anciens Etats pontificaux et, incidemment, du rôle de Rome devenue capitale du royaume d'Italie en 1871. Le pape Pie IX s'était alors réfugié au Vatican et s'était considéré alors comme prisonnier, une position qui n'évoluera qu'avec la signature des Accords du Latran qui a reconnu le Vatican comme Etat souverain tandis que l'Eglise reconnaissait la légitimité du royaume d'Italie et Rome comme sa capitale.
Une intervention publique du Vatican dans les affaires italiennes inédite depuis la fin de la guerre
Si les Accords du Latran ont reconnu la souveraineté du Saint-Siège, le Concordat a quant à lui précisé la réglementation en matière d’exercice cultuel, le statut des sacerdoces et des évêques, la reconnaissance des effets civils au mariage catholique et surtout l’extension l’enseignement confessionnel dans les écoles.
Soulever une violation de «l’accord de révision du Concordat» en demandant au gouvernement italien de modifier un projet de loi est cependant inédit dans les rapports entre Rome et la cité du Vatican, bien que cette intervention soit en théorie permise depuis les Accords du Latran.
Le projet de loi Zan a pour objectif de lutter contre l’homophobie, la transphobie, la misogynie et toute discrimination de quelque sorte que ce soit en raison du sexe, du genre, de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle. En cas d’approbation du Parlement italien, la nouvelle législation prévoirait l’incarcération et des amendes pouvant s’élever à 6 000€ pour qui commet un des actes de discrimination précités.
Monseigneur Paul Richard Gallagher s'est ainsi rendu le 17 juin à l’ambassade d'Italie au Saint-Siège pour remettre une «note verbale» – soit une communication formelle préparée par un tiers et non signée dans le langage diplomatique – remise ensuite à la présidence du Conseil italien. La note émise n’aurait pas pour objectif de «bloquer» le processus législatif mais de le «remodeler de sorte que l’Eglise puisse continuer à dispenser son action pastorale, éducative et sociale de façon libre», selon les propos cités par La Repubblica.
Une loi qui entend combattre la discrimination ne peut et ne doit pas poursuivre cet objectif par l’intolérance
Plus avant, le Vatican a mis en exergue les dispositions du projet de loi incluant les écoles catholiques dans l’organisation de la future «Journée nationale contre l’homophobie» et a fait ainsi part de son inquiétude au sujet de la «liberté de pensée» des croyants qui seraient susceptibles de poursuites judiciaires en raison de leurs convictions.
En l’espèce, le projet de loi contreviendrait donc au principe de «libre organisation» de l’Eglise assurée par le Concordat et la garantie de l’Etat que «les catholiques et leurs associations et organisations [jouissent d’une] pleine liberté de réunion et de manifestation de pensée, orale comme écrite ou de tout autre moyen de diffusion». «Nous demandons à ce que nos préoccupations soient prises en compte», a ainsi écrit le Saint-Siège au gouvernement italien selon La Repubblica. Le cardinal Gualtiero Bassetti avait émis de sérieuses réserves quant aux moyens dont la lutte contre l’homophobie se doterait avec un pareil arsenal législatif. Il avait notamment déclaré fin mai qu’«une loi qui entend combattre la discrimination ne peut et ne doit pas poursuivre cet objectif par l’intolérance», selon des propos cités par Il Corriere della Sera.
Les politiques italiens prêts au dialogue avec le Saint-Siège
L’offensive du Vatican a fait réagir l’arène politique italienne qui n’est pas unanime concernant cette législation. Si Enrico Letta, ancien président du Conseil italien et secrétaire du Parti démocrate (centre-gauche), se dit «disponible au dialogue » selon La Repubblica, il a en premier lieu réagi à l'article du Corriere della Sera sur son compte Twitter en clamant son soutien au projet de loi qu'il qualifie de «norme de civilisation».
Antonio Tajani, ancien président du Parlement européen, s’est montré plus laconique en lâchant qu'«il y a un Concordat, le Vatican demande le respect du Concordat, nous verrons la réponse du gouvernement». Le parti berlusconien Forza Italia (centre-droit) dont Antonio Tajani est désormais coordinateur est opposé au projet de loi qui, toujours selon lui, «limite les espaces de libertés au lieu de les faire croître : dans le texte du projet il y a des positions qui finissent par limiter la liberté d’opinion et d’expression».
Du côté de la Ligue, Matteo Salvini a demandé l'arrêt du processus délibératif et la révision du projet de loi. «Oui à la liberté d'aimer, oui à la lutte contre toute discrimination, oui à la punition de tout type de violence, non à la censure et aux procès pour qui retient que maman, papa et famille sont le cœur de notre société », a notamment tweeté «Il Capitano».
En cas de mésentente entre le Saint-Siège et le gouvernement, une commission paritaire devrait se réunir tel que le stipule l’article 14 du Concordat en vue de résoudre le litige. Il Corriere della Sera temporise cependant l’éventualité qu’une telle disposition vienne à s’appliquer en arguant que l’affaire ne serait qu’«une simple moral suasion» (persuasion morale).
L'intervention du Saint-Siège survient cependant dans un contexte tendu en Europe au sujet de l'idéologie LGBT, suite à la nouvelle loi dont vient de se doter la Hongrie pour interdire le partage de contenus promouvant l'homosexualité aux moins de 18 ans. Treize pays de l'UE dont l'Allemagne, la France et l'Espagne ont d'ailleurs appelé ce 22 juin la Commission européenne à utiliser «tous les outils à sa disposition» pour faire respecter le droit européen face à cette loi hongroise qu'ils jugent «discriminatoire» à l'encontre des personnes LGBT.