Le 31 mai, Andreï Pivovarov, ancien directeur de l'organisation Open Russia, visé par une affaire criminelle pour «participation aux activités d'une ONG étrangère reconnue comme indésirable», a été interpellé à Saint-Pétersbourg. Il a été placé en détention provisoire pour deux mois.
Comme d'autres auparavant, cette nouvelle affaire, qui suscite des réactions indignées au sein de l'opposition, découle de l'application d'une loi de 2015 qui cible certaines ONG étrangères.
Qu'est-il reproché exactement à ces organisations et dans quel but les parlementaires russes ont-ils adopté cette loi ?
Pourquoi une telle loi ?
Basée au Royaume-Uni, l'organisation Open Russia, fondée par l'homme d'affaires en exil Mikhaïl Khodorkovsky, fait partie depuis 2017 de la liste des ONG étrangères dont «les activités sont indésirables sur le territoire russe». Cette menace est prise très au sérieux par la Fédération : en avril dernier, la justice russe avait déclaré 12 nouvelles ONG «indésirables», le procureur général Igor Krasnov pointant du doigt des tentatives venues de l'étranger «d'influer sur la situation sociale et politique du pays».
Lors du vote cette loi en 2015, les députés qui la défendaient avaient invoqué le besoin de stopper les «organisations destructrices» travaillant en Russie, susceptibles de menacer «les valeurs de l'Etat russe» et de fomenter des «révolutions de couleur» – en référence aux révoltes soutenues par l'Occident dans des pays d'ex-URSS.
Interrogé par RT France, Karine Bechet-Golovko, professeur invité à l'université d'Etat de Moscou, rappelle le contexte dans lequel s'est inscrit l'adoption de cette loi : «A la suite du coup d'Etat du Maïdan en Ukraine [en 2014], dans lequel les ONG étrangères ont joué un rôle non négligeable de travail en profondeur de la société ukrainienne, la Russie a voulu, comme pays souverain, protéger son espace intérieur. Pour cela, elle a repris dans les grandes lignes la législation américaine, dite loi FARA [Foreign Agents Registration Act]».
Le vote de cette loi avait soulevé de vives critiques, notamment de la part d'ONG et d'organisations internationales : Amnesty International avait ainsi dénoncé le «dernier chapitre dans la répression sans précédent contre les organisations non-gouvernementales». L'OSCE avait, elle, émis des inquiétudes quant à l'imposition de «restrictions sérieuses sur un large éventail de droits démocratiques importants, dont la liberté d'expression et la liberté de la presse».
Réagissant à ce type d'accusations, renouvelées après qu'Open Russia a choisi de clore ses activités en Russie, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov avait récemment clarifié la position russe, en rappelant le caractère non-monolithique de l'opposition dans le pays. «Notre champ politique n'est en aucun cas limité à Open Russia. Il est bien plus riche et diversifié», déclarait-il en mai dernier, cité par Tass.
Ce que prévoit la loi de 2015
Cette loi de 2015 prévoit que «l'activité d'une organisation non gouvernementale étrangère ou internationale, représentant une menace pour les fondements constitutionnels de la Fédération de Russie, la capacité de défense du pays ou la sécurité du gouvernement, puisse être reconnue indésirable». Partant, elle donne aux autorités la possibilité d'interdire les ONG concernées et de poursuivre leurs employés, qui risquent jusqu'à six ans de prison et peuvent se voir interdire l'entrée sur le territoire russe.
Elle permet également de bloquer les comptes bancaires des structures incriminées ainsi que leur accès aux médias, tandis que les organisations russes recevant des fonds d'organisations jugées indésirables devront rendre compte de leurs actes.
Une loi permettant donc de mettre en lumière les liens de certaines ONG œuvrant en Russie avec des acteurs étrangers, selon Karine Bechet-Golovko : «La politique est une affaire intérieure de chaque société et de la population de ces sociétés. Si les gens ne savent pas qui est à la source des idées promues par ces ONG tenues de l'étranger, ils peuvent être plus facilement manipulés et trompés», explique le docteur en droit public. Et d'ajouter : «C'est d'ailleurs cette obligation "de jouer à découvert" qui a le plus dérangé ces ONG, qui ne peuvent plus cacher leur véritable but – et leurs véritables intérêts.»
Vers un durcissement de la loi
Actuellement, un projet de loi visant à durcir les peines contre les membres d'organisations «indésirables» est débattu au Parlement russe.
En avril dernier, l'ancien chef d'Etat et actuel vice-président du Conseil de sécurité de Russie Dmitri Medvedev avait appelé son pays à renforcer son arsenal législatif contre les organisations étrangères cherchant à déstabiliser la Russie : «Les mécanismes des ONG sont régulièrement utilisés dans ce qu'on appelle la guerre hybride», soulignait-il, ajoutant que «des organisations qui n'ont qu'un objectif – déstabiliser notre pays – se dissimul[aient] sous l'apparence d'entreprises décentes»