La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné le Royaume-Uni et la Suède pour leurs pratiques en matière de surveillance de masse. La CEDH a ainsi jugé le 25 mai que l'agence britannique d'écoute GCHQ (Government Communications Headquarters) a violé les droits humains fondamentaux en interceptant et en récoltant de grandes quantités de communications, donnant raison au lanceur d'alerte américain Edward Snowden, réfugié en Russie.
Les révélations de l'ancien sous-traitant de la NSA (National Security Agency) Edward Snowden ont montré que le GCHQ et la NSA aux Etats-Unis absorbaient d'énormes quantités de communications du monde entier, y compris de leurs propres citoyens. Le tribunal basé à Strasbourg a jugé dans une affaire connue sous le nom de «Big Brother Watch et autres vs Royaume-Uni» que la Grande-Bretagne avait violé le droit au respect des communications de la vie privée et familiale et le droit à la liberté d'expression avec son régime de surveillance de masse.
L'ancien rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, qui a publié les révélations de Snowden en 2013 et détruit les disques durs appartenant au lanceur d'alerte au lieu de les remettre au gouvernement, s'est réjoui de la décision. «Cela a pris du temps mais il s'avère que Snowden avait raison», a-t-il écrit sur Twitter.
«Ce jugement confirme que l’espionnage de masse du Royaume-Uni a violé les droits des citoyens à la vie privée et à la liberté d’expression pendant des décennies», a déclaré Silkie Carlo, directrice de Big Brother Watch, organisation à l'origine des poursuites. «Nous nous félicitons du jugement selon lequel le régime de surveillance du Royaume-Uni était illégal, mais l’occasion manquée pour la Cour de prescrire des limites et des garanties plus claires signifie que le risque est actuel et réel», a-t-elle déclaré, citée par Reuters.
Violation des droits de l'homme ou nécessaire surveillance ?
Des militants pour les libertés civiles, dont Big Brother Watch et Amnesty International, avaient porté l'affaire en estimant que leurs communications avaient été récoltées par des interceptions massives, inutilement et sans procédure régulière. Le gouvernement britannique a fait valoir que l'interception en masse était essentielle pour la sécurité nationale et lui avait permis de découvrir de graves menaces. Londres a notamment argué la nécessité de récolter de grandes quantités de données pour identifier les menaces.
Le tribunal a statué qu'un régime d'interception de masse ne violait pas en soi les droits de l'homme, mais qu'il devrait disposer de garanties appropriées. «Le Royaume-Uni dispose de l'un des régimes de surveillance les plus solides et transparents pour la protection des données personnelles et de la vie privée au monde», a pour sa part déclaré une porte-parole du gouvernement, ajoutant que la loi de 2016 sur les pouvoirs d'enquête avait déjà remplacé la législation antérieure qui était à la base de cette poursuite.
Concernant la Suède, la CEDH qui avait été saisie en 2008 par l'organisation Centrum för rättvisa, a estimé qu'en raison de certaines carences, le régime suédois d'interception en masse de communications «n'offr[ait] pas une protection adéquate et effective contre l'arbitraire et le risque d'abus», a considéré la Grande chambre de la CEDH, la formation suprême de l'instance judiciaire du Conseil de l'Europe. En conséquence, 15 juges (sur 17) ont estimé que la Suède avait violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui protège le «droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance».
La Cour a insisté sur le fait que les systèmes de collecte en masse de renseignements par les Etats doivent apporter des «garanties de bout en bout» sur le respect de la vie privée, ajoutant que la nécessité et la proportionnalité des mesures prises «devraient être appréciées à chaque étape du processus».
Elle a également souligné que le recours par un Etat à un régime d'interception en masse de télécommunications n'est pas en soi contraire à l'article 8 de la Convention, mais que, «au vu de l'évolution constante des technologies de communication modernes», ces activités doivent dès le départ être soumises à «l'autorisation d'une autorité indépendante» puis «faire l'objet d'une supervision et d'un contrôle indépendant».
La CEDH a ainsi condamné la Suède à verser 52 625 euros à l'organisation requérante. Dans un autre arrêt rendu le même jour, la Grande chambre de la CEDH a aussi condamné le Royaume-Uni pour avoir violé l'article 8 avec son régime de surveillance de masse auprès des fournisseurs de services de communication. Mais ce régime, à l'époque des faits litigieux, reposait sur une loi de 2000, qui a été remplacée par une autre loi en 2016.
Dans cette affaire, les requérants étaient des journalistes et des organisations de défense des droits humains, qui considéraient qu'après les révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden, leurs communications «ont pu être interceptées ou recueillies par les services de renseignement britanniques».