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Espionnage et influence : le Pentagone disposerait d'une «armée secrète» composée de 60 000 agents

Une enquête du magazine Newsweek a révélé l'existence d'un programme du Pentagone destiné à fournir de fausses identités numériques à 60 000 de ses militaires et prestataires, notamment pour «influencer et manipuler les réseaux sociaux».

Le département américain de la Défense a mis en place au cours de la dernière décennie «la plus grande force d'infiltration que le monde ait jamais connue» : c'est ce qu'assure le magazine Newsweek dans une enquête publiée le 17 mai. Environ 60 000 personnes – dix fois le nombre d'agents infiltrés de la CIA – feraient partie de cette «armée secrète» du Pentagone, répondant au nom de code «signature reduction», selon le média américain.

Un vaste réseau composé de soldats, de civils et de sous-traitants agissant sous de fausses identités pour accomplir des missions sur le sol national et à l'étranger, opérant dans la vie réelle et en ligne, parfois employés dans des sociétés privées. Plus de 130 entreprises seraient concernées, dont certaines célèbres, et des dizaines d'agences gouvernementales peu connues soutiendraient ces missions. Les entreprises en question, qui s'occupent de tâches diverses comme la falsification de documents ou la création de déguisements, touchent un total de plus de 900 millions de dollars par an pour leur participation au programme.

Newsweek affirme en outre que la moitié de cette force d'infiltration se compose d'un personnel d'opérations spéciales qui traque les terroristes dans des zones de guerre du Pakistan à l'Afrique de l'Ouest, et travaille sur des «points chauds non reconnus» comme la Corée du Nord et l'Iran. Les spécialistes du renseignement militaire constitueraient la deuxième plus grande partie de cette armée secrète.

Le magazine américain précise que la couverture de ces agents est rarement dévoilé, mais que l'un d'entre eux a été arrêté à Moscou en mai 2013. Il s'agissait d'un prétendu diplomate américain du nom de Ryan Fogle, expulsé de Russie alors qu'il tentait de recruter un agent double.

Des campagnes pour influencer et manipuler les réseaux sociaux

Un groupe en particulier prendrait de plus en plus de place au sein de la force clandestine du Pentagone, et opèrerait exclusivement en ligne. Il s'agit de centaines de «cyber-combattants» travaillant sous de fausses identités pour recueillir des renseignements et rechercher des «informations accessibles au public» sur Internet. Ils auraient participé à «des campagnes pour influencer et manipuler les médias sociaux», rapporte Newsweek.

Bientôt une commission d'enquête parlementaire aux Etats-Unis ?

Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences Po et spécialiste des réseaux, a expliqué sur RT France que si l'existence de ce type d'armée ne l'étonnait pas, la dimension «gigantesque» du programme le surprenait. Mais, a-t-il ajouté, cet effectif de 60 000 personnes est finalement logique compte tenu du fait qu'il y a «énormément de terrains d'opération, d'endroits où les Etats-Unis souhaitent influencer l'opinion publique, ainsi que sur leur territoire».

Le spécialiste de l'influence en ligne souligne également l'absence de «supervision des parlementaires américains» sur le programme. Newsweek précise en effet que la taille exacte du programme n'est pas connue et que le Congrès américain n’a jamais tenu d’audience sur le sujet. Le média pointe le manque total de transparence concernant cette force militaire clandestine massive, alors même que son développement «remet en question les lois américaines, les conventions de Genève et le code de conduite militaire».

Pour Fabrice Epelboin, ces révélations s'inscrivent dans la lignée de l'affaire Edward Snowden en 2013, du nom de cet informaticien et lanceur d'alerte américain aujourd'hui réfugié en Russie, «quand les Etats-Unis s'étaient aperçus que la NSA espionnait sa propre population». Et maintenant que l'existence de cette armée d'influence a été dévoilée, l'enseignant à Sciences Po estime «qu'on peut faire confiance aux élus américains pour se saisir du problème» et déclencher à terme une commission d'enquête parlementaire.