Après l'interception par les autorités biélorusses de l'avion où il se trouvait, Roman Protassevitch a été interpellé à Minsk le 23 mai. L'arrestation de cet ancien collaborateur de la chaîne d'opposition Nexta a été immédiatement condamnée par l'ex-candidate à la présidentielle biélorusse, désormais en exil, Svetlana Tikhanovskaïa. Sur Twitter, elle a assuré que Roman Protassevitch encourait «la peine de mort».
Le président biélorusse Alexandre Loukachenko avait été confronté en 2020 à un mouvement de contestation ayant rassemblé pendant plusieurs semaines des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes à Minsk et dans d'autres villes. Fondé en 2015, d'abord comme une chaîne YouTube, le média Nexta («Quelqu'un» en biélorusse) avait joué un rôle important dans cette récente vague de contestation qui avait suivi la réélection à l'été 2020 du président Loukachenko, en poste depuis 1994.
Accessible par la messagerie Telegram, la chaîne est actuellement suivie par plus d'1,2 million de personnes, après avoir atteint un pic à 2,1 millions d'abonnés, la population de Biélorussie ne dépassant pas 10 millions d'habitants. Au plus haut des tensions dans le pays, cette chaîne servait à diffuser les messages de l'opposition, les parcours de manifestations, ainsi qu'à partager des photos et vidéos de rassemblements et notamment de violences policières. «J'avais simplement envie de compiler toutes les mauvaises choses qui se produisent dans la Biélorussie de Loukachenko», avait expliqué le fondateur de la chaîne Stepan Svetlov, 22 ans, qui utilise aussi le nom de famille Poutilo.
Nous continuons d'être des citoyens biélorusses qui veulent jouer un rôle
«Cela a commencé comme un projet scolaire», avait-il raconté lors d'une interview à l'AFP en août 2020 à Varsovie, où il vit en exil. Puis la chaîne YouTube potache (Svetlov partageait au début des vidéos musicales satiriques) est devenue en 2018 un canal Telegram contestataire, jusqu'à jouer un rôle dans la coordination des manifestations puisque «personne d'autre ne peut le faire car il serait immédiatement arrêté».
«Même à 500 kilomètres de la frontière, nous continuons d'être des citoyens biélorusses qui veulent jouer un rôle, [apporter] leur propre contribution aux changements», insistait encore le jeune fondateur au commencement des manifestations, à un moment où Nexta recevait environ 200 messages par minute, selon lui. Il expliquait que sa petite équipe de quatre personnes se relayait pour vérifier la véracité des quelque 100 000 messages quotidiens qu'ils recevaient. Un travail qui leur a valu la reconnaissance des protestataires et d'autres journalistes locaux.
Valéry Karbalevitch, analyste biélorusse de Radio Free Europe/Radio Liberty, a ainsi expliqué à l'AFP que Nexta avait joué un «rôle crucial» dans la logistique des protestations, fournissant des listes d'horaires et des lieux de rassemblement. «Tous les blogueurs autrefois populaires en Biélorussie ont connu la prison et seule une chaîne Telegram opérant depuis l'étranger est en mesure de coordonner les manifestations», a-t-il souligné. Pour l'analyste indépendant Vladimir Matskevitch, toujours auprès de l'agence française, Nexta avait «le plus d'influence et la plus grande audience» liées aux protestations dans le pays.
Quel financement pour Nexta ?
Dans la foulée des premières contestations publiques, en août, Loukachenko avait estimé que le mouvement d'opposition à sa réélection était «téléguidé» depuis l'étranger. «Depuis la Pologne, la Grande-Bretagne, et la République tchèque, il y avait des appels pour téléguider, excusez l'expression, nos moutons [...] Nous ne leur permettrons pas de mettre le pays en pièces», avait-il déclaré, cité par l'agence publique BelTA.
Le 20 octobre, un tribunal de Minsk avait officiellement désigné la chaîne Nexta comme «extrémiste», ordonnant au ministère de l'Information d'en interdire l'accès. Début novembre, les services de sécurité biélorusses avaient inscrit Roman Protassevitch, 26 ans, ancien rédacteur en chef de Nexta, ainsi que Stepan Svetlov sur la liste des «individus impliqués dans des activités terroristes».
Les membres de Nexta ont toujours insisté sur le fait que l'entreprise était entièrement indépendante et ne recevait aucun financement autre que publicitaire pour couvrir qes frais d'exploitation. Pas «de subvention, ni d'offre de toute organisation ou pays tiers», assurait ainsi Stepan Svetlov en août 2020 auprès du média The Bell. Néanmoins, comme le rapportait RT en novembre, l'un de ses rédacteurs en chef basé à Londres, Tadeusz Giczan, est également employé par CEPA, un groupe de réflexion nettement anti-russe financé par l'Otan et le département d'État américain, et qui cherche à promouvoir la vision de Washington dans le centre et l'est de l'Europe.
«Persécution des services de renseignement biélorusses»
Roman Protassevitch et Stepan Svetlov se trouvaient en novembre à Varsovie, au moment où la Biélorussie a réclamé à la Pologne leurs extraditions. Protassevitch, qui avait expliqué à la BBC avoir fui Minsk «en raison de la persécution des services de renseignement biélorusses», avait alors déclaré au quotidien moscovite RBK, non sans ironie, qu'il était d'accord pour retourner dans son pays natal «en échange du transfert forcé de Loukachenko devant la cour internationale de justice de La Haye».
C'est sur un vol Athènes-Vilnius dérouté vers Minsk qu'il a été interpellé le 23 mai par les autorités biélorusses. Selon le journal autrichien Der Standart, la petite amie russe de Protassevitch, Sofia Sapega, a également été arrêtée le 23 mai à Minsk. Dans une vidéo diffusée le 23 mai sur la chaîne YouTube de Nexta, Stepan Svetlov a réagi à ces interpellations qu'il a qualifiées de «terrorisme international» de la part des autorités biélorusses.
Principale figure de l'opposition en exil (en Lituanie), Svetlana Tikhanovskaïa a assuré que Roman Protassevitch risquait la «peine de mort» après son arrestation. Si la Biélorussie est en effet le dernier pays d'Europe à appliquer pareille condamnation, l'article 24 de sa constitution limite les conditions d'application de la peine capitale aux crimes les plus graves, comme le meurtre.
«De quatre à six affaires pénales ont été portées contre moi et Stepan [Svetlov], avec une peine totale d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 25 ans», expliquait à la BBC Roman Protassevitch en août 2020. Dans le détail, le Comité d'enquête biélorusse a ouvert des poursuites pénales contre les deux hommes pour organisation d'émeutes de masse à Minsk et incitation à l'hostilité sociale à l'égard des représentants des autorités et de la police. Ces articles prévoient des peines allant respectivement jusqu'à 15 et 12 ans de prison.