Entré en fonction le 20 janvier 2021, le président américain Joe Biden a fait de la politique d'immigration l'un des piliers de son mandat afin de se démarquer de celle qui était menée par son prédécesseur Donald Trump, régulièrement qualifiée d'«inhumaine» par le camp démocrate.
Durant sa campagne électorale, Joe Biden avait annoncé une «nouvelle ère» en matière d'immigration, proposant de légaliser massivement la présence des immigrés clandestins, d'étendre l'immigration légale dans le pays et d'arrêter immédiatement la construction du mur à la frontière mexicaine.
L'objectif chiffré et annoncé du camp Biden était que les Etats-Unis puissent accueillir 62 500 migrants pour l'année 2021 puis 125 000 dans l'année 2022, rompant ainsi définitivement avec le seuil des 15 000 réfugiés fixé par l'administration Trump. Or plus de 100 jours après son investiture, le candidat démocrate se heurte à une réalité bien plus difficile que ses équipes ne semblaient l’avoir anticipé.
Crise migratoire à la frontière mexicaine : le premier grand défi pour Joe Biden ?
Tout juste arrivé à la Maison Blanche, Joe Biden publie un décret qui contient deux mesures symboliques fortes : la suspension de la construction du mur situé à la frontière mexicaine (projet de 1 600 kilomètres loin d'être terminé) censé contenir les «afflux de migrants» dénoncés par son prédécesseur Donald Trump et la suspension des expulsions de sans-papiers pendant une période de 100 jours.
Premier revers : quatre jours après la publication de ce décret, le procureur général du Texas Ken Paxton saisit les tribunaux. Le 26 janvier, le tribunal fédéral bloque la décision de suspendre les expulsions d'immigrés en situation irrégulière, Ken Paxton se réjouissant qu'une décision de justice «place en priorité le respect de la loi et de la sécurité des citoyens», comme le relevait France Info.
La volonté affichée de Joe Biden d'ouvrir davantage les portes américaines aux migrants est pourtant très rapidement interprétée par les candidats à l’immigration comme une invitation à se rendre aux Etats-Unis. Dès le début du mois de février, le pays observe une envolée du nombre d'immigrés et réfugiés venus d'Amérique Centrale. Comme le rapporte le Bureau des douanes et des gardes-frontière (CPB) en mars, le nombre d'arrestations de migrants à la frontière des Etats-Unis a explosé, pour atteindre leur plus haut niveau depuis 15 ans.
Durant ce mois, plus de 172 000 personnes ont été appréhendées par les gardes-frontière en entrant illégalement sur le sol américain, soit une augmentation de 71% par rapport au mois de février. Parmi ces immigrés (venus principalement du Mexique, du Guatemala, du Honduras et du Salvador), le nombre de mineurs isolés a doublé pour s’établir à 18 890 arrivées, de même que celui des immigrés arrivés en famille avec 53 823 individus.
«Le chaos à la frontière aurait pu être empêché si on avait maintenu les politiques du président Trump qui fonctionnaient»
Cette crise migratoire d'ampleur inédite n'est pas sans provoquer des remous au sein de l'administration Biden. Très vite, les voix des Républicains s'élèvent pour accuser le président démocrate d'avoir créé un «appel d'air» inédit dans le pays. «L'administration Biden doit revenir aux politiques frontalières efficaces du président Trump et cesser de laisser les immigrants illégaux entrer dans notre pays», écrivait sur Twitter le sénateur Tom Cotton le 29 mars. «Le chaos à la frontière aurait pu être empêché si on avait maintenu les politiques du président Trump qui fonctionnaient», a renchéri l’élu de la Chambre des représentants Jim Jordan sur la chaîne Fox News.
Contraint de réagir face à l'ampleur du phénomène, le 16 mars dans un entretien accordé à la chaîne de télévision ABC, Joe Biden a surpris son entourage en s'adressant aux candidats à l’immigration et en leur demandant de s’abstenir de venir aux Etats-Unis. «Je peux dire clairement : ne venez pas», a-t-il déclaré sur la chaîne ABC News. Quelques semaines plus tard, le président des Etats-Unis rompt avec une promesse de campagne et annonce le 16 avril qu'il maintient le seuil annuel fixé par Donald Trump de 15 000 réfugiés acceptés aux Etat-Unis, contrairement au 62 500 annoncés en début de mandat.
Ce rétropédalage ne manque pas d'irriter l'aile gauche du parti démocrate ainsi que les associations et ONG en faveur des droits des migrants. Le président démocrate de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Bob Menendez, juge publiquement que le nombre de 15 000 réfugiés est terriblement bas et appelle la Maison-Blanche à «relever» le cap des admissions. D’autres élus s'insurgent contre cette ambition revue à la baisse, comme la députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez qui dénonce un choix «absolument inacceptable».
Nouveau rétropédalage et nouvelle concession à l'aile gauche du camp démocrate
Face à ces réactions vives au sein de son propre camp, la Maison Blanche a accompli un nouveau volte-face en indiquant que le plafond du nombre de réfugiés serait bien rehaussé d'ici le 15 mai. L'équipe de Joe Biden a invoqué une nouvelle fois la situation héritée par l'administration Trump : un responsable de l'administration Biden expliquait ainsi auprès de Reuters le 16 avril que le programme d'immigration dont elle avait hérité était «encore plus réduit [qu'ils ne l'avaient] pensé et qu'il nécessitait une révision majeure afin de revenir aux chiffres sur lesquels [Joe Biden s'est engagé]». «Cette révision est en cours et nous permettra d'augmenter considérablement le nombre d'admissions dans les années à venir», avait-il ajouté.
Autre concession faite aux associations et à l'aile gauche du parti démocrates : le Département à la Sécurité intérieure a annoncé le 27 avril que les agents fédéraux ne seraient plus autorisés à arrêter des migrants dans les palais de justice ni à leurs abords. Dans un communiqué, le secrétaire du Département à la Sécurité intérieure des Etats-Unis, Alejandro Mayorkas, a déclaré : «L'accroissement des arrestations civiles en matière d'immigration dans les palais de justice sous l'administration précédente a eu un effet dissuasif sur la volonté des individus de se présenter au tribunal ou de coopérer avec les forces de l'ordre.» En 2018, l'administration Trump avait autorisé le bureau de l'immigration et des douanes (ICE) à entrer dans les palais de justice pour arrêter des personnes soupçonnées d'être en situation irrégulière, poussant certains immigrés à éviter de porter plainte ou à se présenter comme témoin lors d'auditions.
Enfin, un grand projet de réforme de l'immigration américaine a été présenté par les démocrates le 18 février au Congrès. Ce plan ouvre notamment la voie à la naturalisation de 11 millions d'immigrés en situation irrégulière et facilite l'accès à la nationalité américaine pour les immigrés arrivés aux Etats-Unis lorsqu'ils étaient mineurs. La bataille s'annonce âpre au Sénat comme à la Chambre des représentants où les démocrates disposent d’une très courte majorité.
Comme le rapporte CBS News, le 28 avril, lors de son premier discours devant une session conjointe du Congrès, Joe Biden a une nouvelle fois invité le Congrès à adopter sa loi globale sur l'immigration. S'adressant aux démocrates comme aux républicains, le président américain a déclaré : «Si vous croyez que nous avons besoin d'une frontière sécurisée, adoptez-la» et «si vous croyez en une voie vers la citoyenneté, adoptez-la».