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Présidentielle en Equateur : que retenir de la campagne du second tour ?

13 millions d'Equatoriens sont appelés aux urnes ce 11 avril pour choisir leur futur président. En ballotage, le socialiste Andrés Arauz, arrivé en tête du premier tour, et l'ex-banquier libéral-conservateur Guillermo Lasso.

Le second tour de l'élection présidentielle opposera ce 11 avril deux projets antagonistes pour l'Equateur. A droite de l'échiquier politique, l'ancien banquier Guillermo Lasso, du mouvement Créer des opportunités (Creo), candidat malheureux aux élections de 2013 et de 2017 ; à gauche, le jeune économiste Andrés Arauz, de la coalition Union pour l'espérance (Unes), candidat soutenu et porté par l'ancien président socialiste Rafael Correa (2007-2017). Ce dernier vit actuellement en Belgique, d'où est originaire son épouse, et a l'interdiction de se présenter aux élections dans son pays à cause de condamnations pour corruption qu'il dénonce comme du «lawfare» – à savoir l'utilisation du judiciaire à des fins politiques.

Quelque 13,1 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour élire le successeur de l'impopulaire président Lenin Moreno, dont le mandat de quatre ans expire le 24 mai et qui ne se représente pas.

Les sondages qui donnaient depuis le premier tour Andrés Arauz gagnant avec une avance de plusieurs points sur son adversaire se sont quelque peu inversés moins de deux semaines avant le scrutin, donnant, pour certains, une légère avance à Guillermo Lasso qui mène une campagne dynamique et offensive. Mais finalement, les derniers estimations, à quelques jours de l'élection, donnent majoritairement Andrés Arauz largement gagnant.

L'ombre de Correa et de Moreno

En Equateur, les débats se sont polarisés autour des deux figures présidentielles que sont Rafael Correa et Lenin Moreno.

La personnalité charismatique de Rafael Correa, admiré au sein des catégories populaires pour sa «révolution citoyenne», a dans une large mesure permis à Andrés Arauz, inconnu du grand public il y a encore quelques mois, d'arriver largement en tête du premier tour avec 32,72% des voix.

Lenin Moreno, en revanche, met tout le monde d'accord contre lui. La campagne des candidats pour la présidentielle de 2021 a ainsi consisté à se démarquer du bilan de ce président sortant impopulaire et à accuser les adversaires d'accointance avec son gouvernement sortant. Après avoir été le vice-président de Correa (2007-2013), Moreno avait été élu en 2017 président du pays sous les couleurs du corréisme dont il était censé poursuivre le projet socialiste. Mais très vite, l'homme fait volte-face, se met à appliquer une politique libérale, se rapproche de Donald Trump et du FMI et va jusqu'à dire qu'il éprouve de la «détestation» pour ceux qui ont voté pour lui. Les corréistes vivent alors ce que certains d'entre eux qualifient de «tragédie shakaespearienne», se retrouvant trahis par celui qui était censé porter leur projet. 

Lors de cette campagne présidentielle, tous les candidats tirent donc à boulets rouges sur le président sortant. Andrés Arauz ne cesse d'accuser Guillermo Lasso d'avoir activement soutenu la politique de Moreno et d'avoir profité financièrement de sa proximité avec lui, tandis que Lasso rappelle aux corréistes qu'ils ont eux-mêmes porté Moreno au pouvoir et leur fait porter la responsabilité de son bilan, qu'ils dénoncent pourtant depuis près de quatre ans. Lasso cherche également à effrayer les électeurs potentiels d'Arauz en accusant celui-ci de vouloir faire de l'Equateur un nouveau Venezuela, pays plongé dans une grave crise économique, rappelant la proximité de Correa avec les présidents vénézueliens Hugo Chavez et Nicolas Maduro. Pour ce faire, des photos de mendiants présentés comme vénézuéliens et arborant des pancartes portant l'inscription «Votez bien !» ont fleuri sur les réseaux sociaux. Les corréistes accusent le camp Lasso d'avoir payé ces pauvres gens pour mener une «campagne sale».

Le 3e candidat appelle au vote nul 

Alors que rien n'est encore gagné pour les deux candidats, le leader indigène écologiste Yaku Perez, arrivé en troisième position au premier tour avec 19,39 % des voix juste derrière Lasso (19,74%), appelle ses partisans à voter nul. 

Affirmant que les résultats ont été faussés pour l'exclure du second tour, il avait déposé un recours devant le Tribunal électoral des contentieux (TCE) en demandant le recomptage d'environ 50% des votes du premier tour. Mais l'organisme a jugé le 14 mars qu'il n'existait pas d'«éléments de preuve suffisants» pour établir qu'il y ait eu fraude lors du premier tour et a, en conséquence, rejeté la demande.

Le candidat écologiste a qualifié la sentence du TCE de «déplorable». Frustrés d'être passés si près du second tour, Yaku Perez et la Confédération des nationalités indigènes d'Equateur (Conaie) rejettent les deux candidats et ont décidé d'appeler au vote nul. Ils semblent avoir été en partie entendus, les sondages donnant les votes nuls et blancs de 19 à 38% des voix pour le second tour. Cependant, à quelques jours du scrutin, de nombreuses personnalités des mouvements indigènes, et même du parti Pachakutik de Yaku Perez ont finalement décidé de soutenir ouvertement le candidat Andrés Arauz. Parmi eux, le président de la Conaie, Jaime Vargas.

Vote nul ou pas, quoi qu'il arrive, à la fin, il n'en restera qu'un. La crise sanitaire a durement touché l'Equateur, petit pays de 17,4 millions d'habitants qui compte plus de 16 200 décès du Covid-19 selon les chiffres officiels. Le pays a terminé 2020 avec un un PIB en chute libre (-9%), un taux de pauvreté en hausse à 32,4% et un chômage à 5,7% en janvier, selon l'AFP.

Pour pallier l'urgence, Andrés Arauz propose de verser 1 000 dollars à un million de familles durant son premier mois au pouvoir. Guillermo Lasso, de son côté, promet la création d'un million d'emplois durant la première année de son mandat, l'augmentation du salaire minimum et la suppression de certains impôts, tandis qu'Arauz propose d'augmenter l'impôt sur le revenu. En résumé, s'il est élu, le socialiste Arauz parierait sur le renforcement de l'Etat et l'augmentation des dépenses publiques tout en favorisant l'entrepreneuriat ; alors que le libéral Lasso chercherait à renforcer le secteur privé, au détriment des caisses de l'Etat. Chacun est dans son rôle.

Meriem Laribi