Le bataille et les tractations vont bon train en Equateur, où six jours après le premier tour de l'élection présidentielle, le libéral-conservateur Guillermo Lasso et l'indigène écologiste Yaku Pérez, surnommé «Yaku», sont au coude à coude pour la deuxième place, qui permettra à l'un ou l'autre de se qualifier pour le second tour afin d'affronter Andrés Arauz, le candidat soutenu par l'ancien président Rafael Correa, arrivé en tête.
Recomptage des voix
Répondant favorablement aux demandes convergentes des deux candidats, le Conseil national électoral (CNE) d'Equateur a décidé de procéder à un recomptage partiel des voix, à l'issue d'une réunion tenue le 12 février en présence des deux hommes, censés avoir des idéologies antagonistes, mais dont le dialogue a abouti à un accord.
Le CNE va ainsi revoir 100% des votes dans la province de Guayas (ouest) qui compte le plus d'électeurs, ainsi que 50% des votes exprimés dans 16 autres provinces du pays sud-américain. La présidente du CNE, Diana Atamaint, a expliqué qu'à l'issue de ce réexamen, l'annonce des résultats du premier tour serait définitive. Elle a ainsi demandé à la mission d'observation électorale de l'Organisation des Etats américains (OEA) de rester dans le pays jusqu'à ce que les autorités achèvent la vérification annoncée.
Ce recomptage trouve son origine dans une revendication de Yaku Pérez, qui selon les derniers résultats avait obtenu 19,38% des voix, juste derrière Guillermo Lasso, crédité de 19,74%. Ce résultat quasi définitif – 99,99% des suffrages enregistrés – consultable sur le site du CNE ce 13 février, n'a cessé d'osciller tout au long de la semaine depuis le 7 février, donnant tantôt l'un, tantôt l'autre à la seconde place. Frustré, Yaku Pérez a dénoncé une «fraude» à son encontre. Aux termes de tractations fructueuses avec Guillermo Lasso, désireux de ne pas froisser son rival, les deux candidats se sont engagés à respecter les résultats une fois révisés.
Rapprochement intéressé
«L'important est que le peuple équatorien soit d'accord, qu'il vive dans la tranquillité, en paix», a déclaré le candidat de droite Guillermo Lasso à l'issue de la session du CNE. L'ex-banquier tient à afficher une attitude conciliante envers son rival en vue d'obtenir son soutien lors du second tour disputé contre le candidat de gauche corréiste Andrés Arauz, arrivé largement en tête du premier tour avec 32,70% des voix. «Je demande au CNE de compter, en votre présence, 100% des bulletins à Guayaquil [province de Guayas], pour que vous n'ayez aucun doute sur le fait que le processus était transparent», a dit Guillermo Lasso à Yaku Pérez.
A partir de maintenant, vous et moi devons construire une relation politico-personnelle, qui convient à l'Equateur
Le candidat de la droite a profité de cette réunion au CNE pour tenir des propos amènes à l'endroit de Yaku Pérez. «A partir de maintenant, vous et moi devons construire une relation politico-personnelle, qui convient à l'Equateur», a-t-il déclaré. «Je ne vous considère pas comme un adversaire dans ce processus, je vous soutiens car je recherche la même chose que vous», a ajouté Guillermo Lasso. Les deux hommes ont ainsi convenu qu'ils poursuivaient tous deux le même objectif qui est de «vaincre le corréisme», et donc Andrés Arauz.
«Yankee» Pérez ?
Mais Yaku Pérez, bien décidé à être au second tour, s'est montré franc et direct. «Pour vous, il est très difficile, presque impossible, de battre le corréisme», a-t-il lancé à Guillermo Lasso, déjà par deux fois candidat malheureux à la présidentielle de son pays en 2013 et en 2017. En outre, le candidat du mouvement indigène a rappelé que le parcours de Lasso était entaché par l'époque où celui-ci s'était proclamé «super ministre de l'Economie» en 1999, en plein milieu d'une crise économique d'envergure qui a conduit à la panique bancaire et à la dollarisation.
Alors que les esprits commençaient à s'échauffer entre les deux candidats, les autorités du CNE ont momentanément interrompu la séance, indiquant que cette instance n'était pas propice à de tels débats.
Pendant ce temps, les différentes organisations indigènes du pays qui composent le parti Pachakutik de Yaku Pérez ont exprimé sur Twitter leur profond rejet de tout accord avec la droite. Des messages qui ont résonné comme un avertissement destiné à leur candidat contre toute velléité d'alliance.
Le Mouvement indigène et paysan du Cotopaxi (MICC), qui était l'un des protagonistes des manifestations antigouvernementales d'octobre 2019 contre Lenin Moreno, a prévenu : «Attention ! Une réunion pour compter les votes entre Yaku Pérez et Guillermo Lasso ne signifie pas un accord avec la droite. Ce serait illégitime et en dehors de toute décision organique de la Connaie et du Pachakutik. Notre combat est contre la droite, peu importe d'où elle vient.»
«Nous surveillons attentivement la rencontre entre Yaku Pérez et Guillermo Lasso», a renchéri Apawki Castro, dirigeant de la confédération des nationalités indigènes de l'Equateur, la puissante Conaie. «Un accord en termes politiques, de co-gouvernance, est en dehors d'une décision organique de la Conaie. Notre combat dans les rues et aux urnes est contre la droite, d'où qu'elle vienne», a-t-il ajouté.
Face à ce rapprochement avec la droite et aux prises de position passées du candidat indigène, l'ancien président Rafael Correa (2007-2017) s'est fendu d'un tweet sarcastique dans lequel il renomme Yaku Pérez en «Yankee Pérez» (le nom de naissance du candidat indigène est en réalité Carlos Pérez ; celui-ci a adopté tardivement le prénom indigène «Yaku» qui signifie «eau» en kichwa). Rafael Correa pointe régulièrement la proximité de «Yaku» avec les Etats-Unis, son soutien à des coups d'Etats en Amérique latine, notamment à celui opéré en Bolivie contre le dirigeant indigène Evo Morales, qualifié de «petit dictateur» par Yaku au lendemain de son renversement en novembre 2019.
Le second tour de l'élection présidentielle, prévu pour le 11 avril, désignera le successeur de Lenin Moreno, un président impopulaire dont le mandat de quatre ans expire le 24 mai, date de l'investiture du futur président. Pour Andrés Arauz, il sera plus simple de se démarquer idéologiquement d'un Lasso clairement à droite que d'un «Yaku», présenté comme de gauche. Le camp corréiste préférera donc affronter l'ex-banquier que l'indigène au second tour.
Meriem Laribi