Le futur avion de combat européen passera-t-il le stade de l'esquisse ? Empêtré dans de «difficiles» discussions entre la France, l'Allemagne, l'Espagne et leurs industriels, le projet achoppe sur les questions de partage des tâches et des responsabilités.
«Je ne crois pas que le processus vital soit encore engagé mais je ne vais pas vous dire que le malade n'est pas dans un état difficile. On est à ce point de la difficulté, mais on y croit encore», a affirmé vendredi Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation.
L'avionneur a été désigné maître d'œuvre industriel de l'avion de combat de nouvelle génération (dit NGF ou «New Generation Fighter»), principale composante du Système de combat aérien futur (Scaf).
Selon le patron d'Airbus Guillaume Faury, partenaire principal du programme, les négociations sont «très avancées mais le dernier kilomètre est probablement le plus difficile et cela arrive dans un moment contraint par la situation dans les différents pays».
La France et l'Allemagne, associées à l'Espagne, espèrent valider avant les élections allemandes en septembre les contrats industriels d'étude devant mener en 2026 à la réalisation d'un démonstrateur, sorte de pré-prototype destiné à valider la faisabilité du concept.
L'enjeu de ce programme-phare de la coopération de défense en Europe est stratégique pour les trois pays. Ils doivent remplacer à l'horizon 2040 leurs avions Rafale et Eurofighter et s'assurer que leurs industriels restent au plus haut niveau technologique.
La chancelière Angela Merkel a jeté un pavé dans la mare début février, disant avoir «rouvert le sujet de la répartition et de la poursuite des travaux» qui avait été tranché lors du lancement du programme.
«C’est un projet sous leadership français mais il faut quand même que les partenaires allemands puissent être à un niveau satisfaisant face à leurs homologues. Nous devons donc voir très précisément les questions de propriété industrielle, de partage des tâches et de partage de leadership», a-t-elle expliqué.
Les technologies développées par Dassault, qui serviront à mettre au point le démonstrateur, «c'est ce qui fait la valeur de Dassault qui ne veut donc pas céder» sa propriété intellectuelle, observe dans une tribune Jean-Pierre Maulny, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques.
Dassault ne veut pas livrer ses secrets technologiques
De son côté, selon lui, l'Allemagne considère qu'elle va «payer pour financer une capacité militaire» mais «n'en aura pas la maîtrise. C'est un point de vue également légitime».
Autre point d'achoppement, la répartition des tâches par tiers entre les trois Etats. Sur le NGF, Dassault aura un tiers de la charge pour la France, et Airbus − présent en Allemagne et en Espagne − deux tiers. «C'est une difficulté que Dassault a acceptée», confie Eric Trappier.
Mais Dassault a dû consentir à ce que la moitié des tâches à accomplir soient faites «en commun» et n'aient pas de référent unique. «Ce qui veut dire que personne n'est responsable», lâche Eric Trappier.
L'avionneur français refuse en revanche de laisser à d'autres certains domaines «sensibles ou stratégiques» dans lesquels il s'estime en avance technologique, par exemple sur les commandes de vol électriques, élément critique d'un avion.
«Pour assurer la maîtrise d'œuvre, Dassault a besoin d'avoir des leviers, de prendre des responsabilités pour s'engager vis-à-vis des Etats», martèle-t-il. Au risque d'être à nouveau confronté aux déboires qu'avait connu l'avion de transport A400M.
«À l'époque, nous avions la vision de cet équipement militaire comme un projet industriel qui devrait d'abord donner des résultats équivalents pour les industries nationales des États impliqués», a relaté la ministre des Armées Florence Parly devant le centre de réflexion allemand DGAP.
«Qu'avons-nous vu par la suite ? Des retards, des problèmes techniques parce que nous n'avons pas mis en œuvre le principe du meilleur athlète, et d'importants dépassements de budget». Pour la France, il s'agit donc de désigner le meilleur dans son domaine et d'identifier clairement les responsabilités de chacun.
Un argument également soulevé par Olivier Andriès, patron de Safran, qui doit «faire de la place» au motoriste espagnol ITP après avoir accouché dans la douleur d'un accord avec l'allemand MTU: «il faut qu'on s'appuie sur les performances et les compétences démontrées, il ne faut pas retomber dans les erreurs du passé».