En aéronautique la roue tourne vite, pourvu qu’on ait du talent et que les circonstances politiques s’y prêtent. Il y a une demi-douzaine d’années, lors d’un colloque à Mérignac, Eric Trappier, ulcéré par l’immobilisme des autorités françaises et l’absence d’un baron politique régional à un événement où lui avait pris le temps de se déplacer, pestait qu’il pensait à déménager le siège de Dassault Aviation de Saint-Cloud à Wichita. Le marché américain de l’aviation d’affaires représentant bien plus alors pour son groupe que les quelques contrats maigrelets que la France lui accordait pour ses avions de combat. Le Rafale ne se vendait pas. Dassault était la risée de la presse française et dans le collimateur de bien des responsables politiques et militaires.
La France est aux petits soins pour l’un des derniers fleurons industriels que les gouvernements successifs n’ont pas encore réussi à brader
Aujourd’hui l’avenir s’annonce radieux pour l’avionneur au Trèfle. Le Rafale a finalement fait sa percée à l’export avec plus de 144 machines commandées, dont 96 fermes. Et la France est aux petits soins pour l’un des derniers fleurons industriels que les gouvernements successifs n’ont pas encore réussi à brader à un rival étranger au nom de l’Europe ou de la logique industrielle. En annonçant le 14 janvier, sur la chaîne de montage du Rafale à Mérignac, que le ministère français de la Défense lançait une nouvelle version du Rafale, le standard F4, et tablait sur une montée en puissance des livraisons annuelles de l’appareil aux armées françaises à compter de 2022, Florence Parly a, pour une fois, mis tous les militaires et les industriels dans sa poche.
Le Rafale, avec les évolutions dont il va bénéficier, creuse un peu plus encore l’écart technologique sur ses concurrents
Les industriels, parce qu’au-delà d’un contrat de 1,9 milliard d’euros pour la modernisation du Rafale, ils ont une bonne lisibilité de leur plan de travail jusqu’à l’horizon 2030 : 28 Rafale livrés entre 2022 et 2024, 30 autres commandés en 2023 et livrés jusqu’en 2030, cela représente le maintien de centaines d’emplois au sein du team Rafale, Dassault Aviation, Thales, Safran, MBDA et leurs dizaines de sous-traitants. De surcroît la montée en gamme de l’appareil est de nature à booster les chances de l’appareil à l’export. Car le Rafale, avec les évolutions dont il va bénéficier, creuse un peu plus encore l’écart technologique sur ses concurrents. Ceux, du moins, qui sont réellement en compétition avec lui, l’Eurofighter européen et le Gripen. Car il ne faut pas se leurrer. Alors qu’il n’a même pas encore accompli une demi-douzaine d’opérations de combat et que les surcoûts continuent de plomber le programme, le F-35 américain est bien plus un choix politique qu’une décision basée sur des considérations techniques et financières de la part de ses acquéreurs. Quant aux Su-35 et Su-57 russes, en dehors du marché indien où ils tentent de reprendre l’avantage sur le Rafale, ils ne sont en compétition avec lui quasiment nulle part.
Le Team Rafale ne marque donc pas des points vis-à-vis des Russes et des Américains, seuls avionneurs à son niveau, mais il conforte son leadership français en Europe pour les futurs programmes qui seront menés en commun.
Thales apportera sur le F4 ses savoir-faire en matière de gestion des données en temps réel et d’intelligence artificielle
Car il suffit d’observer les évolutions de la tranche F4 pour comprendre qu’au-delà du plateformiste-intégrateur, Dassault Aviation, les systémiers partenaires vont largement bénéficier de cette nouvelle étape du programme.
Sur quoi portent, principalement, les innovations du F4 ? Sur sa capacité à opérer en fusion de données au sein d’un dispositif interarmes, interarmées et en coalition d’une part. Sur ses facultés d’entrée en premier sur des théâtres d’opération non permissifs de l’autre.
La première capacité signifie que le F4 sera en mesure, grâce à la radio logicielle, de recueillir et d’échanger des informations en temps réel avec l’ensemble des systèmes d’armes, aériens, terrestres, navals, spatiaux, qui seront engagés sur une zone de guerre. De la sorte il pourra prendre part au grand projet occidental du moment, celui du combat collaboratif, démultipliant les effets des systèmes associés par une mutualisation conduite au plus juste de leurs aptitudes. Navires, troupes au sol, satellites, plateformes aériennes pilotées et non pilotées, tels les UCAV qui opèreront probablement à ses côtés : Le F4 échangera avec tous, remplissant des missions pour certains, donnant les informations nécessaires à d’autres…
La seconde faculté, celle de la survivabilité du Rafale dans un environnement de conflit de très haute intensité repose sur une amélioration de son radar AESA RBE2, qui pourrait être plus précis pour des missions air-sol, plus puissant sur le mode air-air, un renforcement de son système d’autoprotection SPECTRA et de ses capacités de brouillage (le RBE2 pouvant être mis à contribution dans ce cadre éventuellement), une révision de l’optronique secteur frontal (OSF) de l’appareil, l’infrarouge étant susceptible de faire son retour après avoir été banni de l’OSF-IT actuel, ce qui améliorera les performances nocturnes de l’appareil jusqu’ici réduit à un capteur TV pour l’identification et la poursuite des objectifs aériens.
Radio logicielle, radar AESA amélioré, brouillage, nouvelles moutures pour SPECTRA et l’OSF : Thales et, dans une moindre mesure Safran (qui se rattrape sur les évolutions du moteur M-88), se voient ouvrir des capacités d’innovation dont les financements restaient incertains, capacités qui leur permettront, légitimement, de réclamer la part qui leur revient dans le cadre du SCAF européen, celle du plus performant… De plus Thales apportera sur le F4 ses savoir-faire en matière de gestion des données en temps réel (les fameuses Big Data) et d’intelligence artificielle (IA) pour offrir à l’appareil des outils de maintenance prédictive qui devraient permettre non seulement de réduire significativement le coût du maintien en condition opérationnelle (MCO) mais aussi de rehausser le taux d’appareils immédiatement disponibles, n’atteignant pas actuellement les 60%.
C’est à lui, sans doute, que reviendra la mission d’emporter l’AS4NG
Quant aux militaires français, bien entendu, ils ne peuvent que se réjouir.
Le F4 est une nouvelle étape vers un Rafale F5, ou MLU (Mid-Life Upgrade), qui verra la pérennité de la filière pilotée assurée au-delà de l’horizon 2050, malgré les augures assurant que les pilotes avaient fait leur temps. Et si le Rafale n’est toujours pas un avion de combat de cinquième génération, dénomination marketing qui ne signifie pas grand-chose, notamment lorsqu’on observe le F-35, il devrait permettre aux couleurs françaises de flotter longtemps encore au sommet de l’art en matière d’aviation de combat.
Car le Rafale ne va pas seulement être plus intelligent, plus furtif, plus coriace, il va aussi être plus puissant, plus redoutable compte tenu des armements qui seront associés aux systèmes évoqués supra. 2023-2030 pour le F4 : c’est à lui, sans doute, que reviendra la mission d’emporter l’AS4NG (air-sol nucléaire de quatrième génération), missile hypersonique devant faire son entrée en service à l’horizon 2035. Un tandem high-tech que seul un trio de nations est aujourd’hui en mesure de développer seules dans le monde.
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