Quel rapport entre les manifestants pro-Trump qui se sont introduits dans le Capitole américain et les Gilets jaunes en France ? Les rapprochements entre les deux mouvements, opéré par des responsables et des journalistes, se sont multipliés ces derniers jours – provoquant, à leur tour, des réactions.
Un même «danger pour la démocratie», pour certains LREM
Un certain nombre de voix, au sein de la majorité présidentielle française, ont comparé les troubles provoqués dans le siège du Congrès américains ceux produits durant la crise des Gilets jaunes, dans un discours décrédibilisant les uns comme les autres. Ambroise Méjean, délégué général des Jeunes avec Macron, a répondu sur Twitter à Jean-Luc Mélenchon qui qualifiait les manifestants pro-Trump de putschistes d'extrême droite, en ces termes : «Le danger pour la démocratie c’est tous ceux qui encouragent les séditieux et la violence. Qu’ils se nomment Gilets jaunes, qu’ils soient supporters de Trump, d’extrême droite ou anarchistes. Vous les nourrissez et vous devriez avoir honte.»
Factieux trumpistes aujourd’hui/gilets jaunes hier
Faisant le même genre de rapprochement, la députée Aurore Bergé, présidente déléguée du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale a retweeté le message suivant, accompagnant deux clichés de potences déployées l'une devant le Capitole, l'autre par des Gilets jaunes : «Factieux trumpistes aujourd’hui/gilets jaunes hier.»
Hors de LREM, le journaliste de L'Opinion Matthieu Deprieck, dans un article du 8 janvier, écrit que la comparaison entre manifestants pro-Trump du Capitole et Gilets jaunes «se tient autant sur le fond que sur la forme». Le journaliste répertorie les comparaisons qui ont émergé sur les réseaux sociaux au soir du 6 janvier alors que les manifestants pro-Trump envahissaient le Capitole à Washington. L'intrusion au Congrès américain est en outre comparée, dans son article, au fait qu'en 2018-2019, «les cortèges de Gilets jaunes se répandaient aussi au pas de course suivant un parcours non défini à l’avance pourvu qu’il s’achève près d’un lieu de pouvoir». Il évoque à cet égard les Gilets jaunes qui avaient enfoncé la porte du ministère de l'ex-porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, le 5 janvier 2019.
Le Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) a lui aussi fait le rapprochement entre les événements américains et l'enjeu du maintien de l'ordre en France. «Cela démontre l’extrême difficulté de faire face à des mouvements insurrectionnels, et nous rappelle le sang froid de la police française», écrit le syndicat sur son compte Twitter en employant les hashtags #Capitol #BlackBloc et #GiletsJaunes.
Deux soulèvements contre les élites comparables ?
D'autres comparaisons ciblaient le profil des participants aux deux phénomènes – l'invasion du Capitole américain d'une part, les Gilets jaunes d'autre part. Dans l'émission C à vous (France 5), le député européen, affilié LREM, Bernard Guetta, a ainsi déclaré : «Moi, quand je regardais hier les images que nous avons tous regardées, j'ai pensé aux Gilets jaunes, évidemment.» Il estime à cet égard que face aux politiques néolibérales qui placent le profit au-dessus de tout, les couches populaires perdent confiance dans le discours de leurs gouvernants. «Le point commun de ces crises-là, ça s'appelle le thatchérisme [...], eh bien il y a forcément un moment où les plus démunis se révoltent et croient les plus menteurs», conclut-il.
De son côté, sur LCI, la journaliste Laurence Haïm, basée à Washington, a noté que «le vocabulaire de ces gens [les manifestants pro-Trump] est celui des Gilets Jaunes, d'une classe moyenne qui n'en peut plus».
Cette idée d'un peuple rejetant ses élites de part et d'autre de l'Atlantique, est celle mise en avant par l’eurodéputé du RN Jérôme Rivière. «Compliqué [...] pour la France des Gilets Jaunes de donner des leçons de démocratie aux Etats-Unis. Les démocraties occidentales sont malades des élites mondialisées qui ont trahi les peuples. En France comme aux Etats-Unis».
Du côté du RN également, l'eurodéputé Jean-Lin Lacapelle a contesté à Emmanuel Macron la légitimité de dénoncer les troubles survenus à Washington, estimant qu'il était le «président de la répression contre les manifestations des Gilets jaunes» et dénonçant un recul des libertés durant son mandat. «Les peuples n’en peuvent plus de ces élites moralisatrices et de leur Système qui les piétinent depuis de longues années», a-t-il ajouté, suggérant un parallèle entre les situations américaine et française.
Une «déraisonnable exploitation politique», selon Mediapart
Ces parallèles dressés entre partisans de Trump et Gilets jaunes n'ont pas été du goût de Mediapart, qui a dénoncé une «déraisonnable exploitation politique» dans un article publié le 7 janvier, signé par Mathilde Goanec et Ellen Salvi. Selon les deux journalistes, cette analogie s’inscrit dans une stratégie déployée par les macronistes depuis le début du quinquennat, opposant le camp des «progressistes» à celui celui des «nationalistes» ou «populistes». Une manière, pour la macronie, de se présenter en rempart contre le «chaos». Les journalistes de Mediapart jugent, également, que les élus du RN qui ont formulé des comparaisons similaires répondent à cette même logique binaire. Or, font valoir Mathilde Goanec et Ellen Salvi, la coloration politiques des pro-Trump et celle des Gilets jaunes ne seraient pas du tout la même. «Le racisme, la xénophobie, la lutte contre l’avortement ou la défense des valeurs familiales traditionnelles, l’anti-étatisme et le conspirationnisme n’ont jamais constitué le carburant des gilets jaunes», écrivent-ils.
Sur Twitter, le président et cofondateur de Mediapart Edwy Plenel a appuyé le propos de l'article : «Pour défendre Macron face à ses échecs et son impopularité, ses propagandistes assimilent les gilets jaunes français aux putschistes trumpistes.»
Pour Maxime Nicolle, LREM tente de discréditer le mouvement des Gilets jaunes
Contacté par RT France, Maxime Nicolle, l'une des figures du mouvement des Gilets jaunes aujourd'hui journaliste indépendant pour un média nommé JDS, estime que cette comparaison n'a aucun sens. Ceux qui la font n'ont, de son point de vue, «rien compris aux Gilets jaunes». «Les Gilets jaunes n'ont jamais eu aucun attachement politique, ils n'ont jamais eu rien à voir avec un candidat, ni une élection. C'est un mouvement apartisan avec des revendications sociales», rappelle-t-il. «Même s'il y a eu des tentatives de récupération des Gilets jaunes de la part du RN ou d'autres partis, je suis bien content qu'elles n'aient jamais fonctionné», commente-t-il.
Les Gilets jaunes n'ont jamais eu aucun attachement politique, ils n'ont jamais eu rien à voir avec un candidat, ni une élection. C'est un mouvement apartisan avec des revendications sociales
«Ce qui se passe aux Etats-Unis est lié à un homme politique, jamais les Gilets jaunes n'ont été l'incarnation d'un politicien, c'est donc incomparable», insiste Maxime Nicolle. «Il y a chez les Gilets jaunes une volonté de changement dans l'intérêt collectif, et une demande de considération pour les plus démunis, LREM tente de discréditer ce mouvement social en essayant d'associer ça à un mouvement partisan et politicien, mais en faisant cette comparaison, ils montrent à quel point ils n'ont rien compris», conclut-il.