Isolé et contesté au sein de l'opposition vénézuélienne, Juan Guaido a été invité le 2 décembre par le Sénat français à une audition par la commission des Affaires étrangères, lors de laquelle il a été de nombreuses fois qualifié de «président» du pays latino-américain, mandat pour lequel il n'a jamais été élu.
Plusieurs sénateurs français ont ainsi exprimé un soutien appuyé à celui qui s'était autoproclamé en janvier 2019 président du Venezuela et qui avait été reconnu comme tel par les Etats-Unis et leurs alliés, dont le gouvernement français actuel. Parmi eux, le sénateur UDI Olivier Cadic s'est montré particulièrement élogieux à l'égard de l'opposant vénézuélien. Durant l'audition, comme sur son compte Twitter, il n'a pas hésité à comparer Juan Guaido au général de Gaulle. «Ardent défenseur des droits humains, Juan Guaido a fait forte impression au Sénat. Son courage et son tempérament dans l'adversité rappellent le général de Gaulle», a-t-il écrit.
Durant l'audition, ce sénateur, qui dit être allé au Venezuela il y a quelques années, décrit «un pays qui souffre entre les mains d'une dictature féroce qui bafoue les droits des citoyens et qui commet des crimes contre l'humanité comme l'a récemment annoncé une mission internationale indépendante de l'ONU». Les enquêteurs à l'origine du rapport de la mission évoquée par Olivier Cadic ont déclaré que des personnalités militaires et ministérielles vénézuéliennes de haut niveau étaient «probablement» au courant des crimes en question. Ils ont également dit avoir des «motifs raisonnables de croire» que le président Maduro avait donné des ordres au directeur du renseignement quant aux personnes devant être ciblées.
Nous souffrons avec vous et le peuple vénézuélien
«Mon groupe Union centriste a été à l'origine de la résolution votée l'an dernier à 95% pour le renforcement des sanctions contre des responsables des violations des droits humains au Venezuela», a ajouté Olivier Cadic en référence à un vote d'octobre 2019.
«Nous souffrons avec vous et le peuple vénézuélien», a renchéri le sénateur LREM Richard Yung durant l'audition et sur son compte Twitter.
Une audition gênante ?
Face à ce concert d'éloges, un autre son de cloche est venu des sénateurs Guillaume Gontard, président du groupe écologiste, et Pierre Laurent, du Parti de la gauche.
«J'avoue être un peu gêné par cette audition puisque le Venezuela va voter dans quelques jours, et donc on peut s'étonner de la date de cette audition. Je pense que le rôle de cette commission est justement de ne pas prendre parti», a objecté Guillaume Gontard en guise d'introduction. Il s'est dit satisfait, par souci d'équilibre, de l'invitation prochaine, par le groupe communiste du Sénat, de l'ambassadeur officiel du Venezuela Michel Mujica pour une audition au sein de cette même commission.
N'est-il pas donc contradictoire de se battre pour la démocratie tout en laissant la porte ouverte à un coup d'Etat militaire ?
Le sénateur écologiste a évoqué une «guerre économique des Etats-Unis contre le Venezuela depuis des années, avec notamment l'embargo sur l'entreprise pétrolière nationale PDVSA». A cet égard, il a demandé à Juan Guaido : «Pensez-vous que c'est la bonne stratégie à adopter de maintenir le peuple vénézuélien dans une situation de pénurie et précarité extrême ?» Il a en outre demandé à l'opposant si la situation économique dramatique n'était «pas le fait d'une accumulation de sanctions». «Un expert mandaté par l'ONU affirme en tout cas que cela y participe grandement», a-t-il ajouté.
La personne chargée d'assumer le pouvoir, c'était ma personne, qui a été choisie par le peuple vénézuélien
Il a en outre rappelé à Juan Guaido qu'en février 2019, à la question de savoir s'il autoriserait une intervention militaire des Etats-Unis au Venezuela, il avait répondu : «Nous ferons tout ce qui est nécessaire.» «N'est-il pas donc contradictoire de se battre pour la démocratie tout en laissant la porte ouverte à un coup d'Etat militaire ?», a questionné Guillaume Gontard.
Après la séance, le sénateur a réitéré ses propos sur son compte Twitter. «La stratégie des pays occidentaux de soutien à Juan Guaido semble de toute façon largement en échec. Ce dernier ne fédère plus l'opposition, il ne peut se prévaloir ni d'un soutien populaire, ni ne l'appui d'une partie de l'armée sur laquelle il comptait», a-t-il écrit sur son compte Twitter.
Pierre Laurent a pour sa part rappelé d'emblée la position de son groupe et de sa formation politique, «qui a déploré la reconnaissance par la France de votre auto-proclamation». «Je ne mésestime pas du tout la crise que traverse votre pays mais je ne crois pas que la logique de confrontation permanente et de déstabilisation qui est la vôtre puisse conduire à une solution à cette crise, au contraire, elle risque de l'aggraver», a estimé le sénateur communiste. Il a par ailleurs interrogé Juan Guaido sur sa relation très étroite avec l'administration de Donald Trump et sur la façon dont il envisageait les relations avec l'administration de Joe Biden.
L'opposant vénézuélien n'a pas répondu à cette dernière question, se contentant d'une série de phrases générales comme : «Nous avons besoin de l'aide du monde libre.» Concernant son autoproclamation, il a l'a décrite ainsi : «La personne chargée d'assumer le pouvoir, c'était ma personne, qui a été choisie par le peuple vénézuélien.»
La veille de cette audition, dans un entretien accordé à l'AFP paru le 1er décembre, Juan Guaido a dit espérer voir les sanctions américaines contre le Venezuela ratifiées, amplifiées et uniformisées par la future administration Biden et ses alliés européens. Ces sanctions ont pourtant entraîné la mort de dizaines de milliers de personnes depuis 2017, selon les estimations du centre de recherche économique et politique (CEPR).
Des élections législatives se tiennent le 6 décembre au Venezuela. Si Juan Guaido et ses partisans ont décidé de les boycotter et d'ignorer leur résultat, une grande partie de l'opposition vénézuélienne a choisi d'y participer. Sur les 14 400 candidats, 554 se présentent au nom du Grand pôle patriotique, du côté du gouvernement. Plus de 13 000 candidats se présentent donc en opposition au gouvernement de Nicolas Maduro.
Meriem Laribi