Les propos d'Emmanuel Macron lors de la cérémonie en hommage au professeur Samuel Paty, le 21 octobre, continuent de susciter la colère dans de nombreux pays musulmans. «Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins», avait notamment déclaré le chef de l'Etat français, se posant en défenseur de la liberté d'expression.
Fer de lance de ce mouvement de contestation, sur fond de tension diplomatique entre la France et la Turquie depuis le mois de septembre, le président turc Recep Tayyip Erdogan s'en est une nouvelle fois pris, le 25 octobre, à son homologue français. Le président turc a de nouveau mis en doute la santé mentale du chef de l'Etat français répétant en substance ses propos de la veille. Lors d'un discours télévisé dans la ville de Malatya en Anatolie, le président turc a accusé Emmanuel Macron d'être «obsédé par [Recep] Erdogan jour et nuit». «C'est un cas, et en conséquence, il a vraiment besoin de subir des examens [mentaux]», a-t-il ajouté.
Quelques jours auparavant, Recep Erdogan avait déjà dénoncé comme une provocation les déclarations du président de la République française sur le «séparatisme islamiste» et la nécessité de «structurer l'islam» en France, alors que l'exécutif français présentait son futur projet de loi sur ce thème.
Le dirigeant turc reproche en plus, depuis le 24 octobre, à Emmanuel Macron d'avoir promis que la France continuerait de défendre les caricatures du prophète Mahomet. Cette promesse du chef de l'Etat français a déclenché un flot de critiques dans de nombreux pays à majorité musulmane, de la part de dirigeants politiques et religieux, d'élus mais aussi de simples citoyens.
Des manifestations, un appel au boycott et des drapeaux français brulés
Au Pakistan, le Premier ministre Imran Khan a ainsi réagi le 25 octobre en accusant Emmanuel Macron d'«attaquer l'islam». «[Emmanuel Macron] aurait pu jouer l'apaisement [...] plutôt que de créer une polarisation et une marginalisation supplémentaires qui conduisent inévitablement à la radicalisation», a-t-il tweeté.
«Il est regrettable qu'il ait choisi d'encourager l'islamophobie en s'attaquant à l'Islam plutôt qu'aux terroristes qui pratiquent la violence, qu'il s'agisse de musulmans, de tenants de la suprématie blanche ou d'idéologues nazis», a poursuivi le Premier ministre pakistanais.
En Libye, où les propos de Emmanuel Macron ont été qualifiés de «provocateurs» sur les réseaux sociaux, des internautes ont appelé à manifester le 25 octobre sur la grande place des Martyrs, dans le centre-ville de Tripoli. Des petits groupes avaient déjà protesté le 24 octobre dans plusieurs villes, brandissant des pancartes reprenant le hashtag «Tout sauf le prophète», «le prophète est une ligne rouge» ainsi que des portraits du président français barrés d'une croix rouge.
Au Proche-Orient, un appel symbolique au boycott a aussi eu lieu à Bab al-Hawa, point de passage frontalier du nord-ouest de la Syrie, aux mains des rebelles et où peu de produits français parviennent. Des drapeaux français et des portraits d'Emmanuel Macron ont été brulés dans plusieurs localités du pays échappant au contrôle de Damas rapporte Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme cité par l'AFP.
Des protestations ont également eu lieu en Israël et en Palestine le 24 octobre. Environ 200 personnes se sont rassemblées en soirée devant la résidence de l'ambassadeur de France en Israël. Dans la bande de Gaza, des manifestants ont brûlé des photos du président français.
Au Maghreb, le chef du parti islamiste algérien Front de la justice et du développement (FJD), Abdallah Djaballah, a appelé au boycott de produits français et demandé la convocation de l'ambassadeur de France. Dans la localité tunisienne d'El Kamour, aux portes du Sahara, un défilé anti-France a rassemblé le 25 octobre quelques dizaines de personnes, selon des images diffusées par un collectif local. Comme dans d'autres pays, des appels à boycotter les produits français se sont répandus sur les réseaux sociaux. Mais d'autres internautes tunisiens ont critiqué les moyens employés pour défendre le prophète, tourné en dérision les tentatives de boycott, et défendu la liberté d'expression rapporte l'AFP.
Sur les réseaux sociaux, les appels au boycott des produits français se sont propagés à travers des hashtags en langue arabe, massivement repris de la Turquie aux pays du Golfe tels que le Qatar ou le Koweït. Dans ce pays, un restaurant a par exemple posé des effigies d'Emmanuel Macron sur le sol, sur lesquelles les clients étaient invités à essuyer leurs chaussures.
Paris appelle à faire cesser les appels au boycott provenant d'une «minorité radicale»
Des appels auxquels le président de la République française a répondu sur Twitter le 25 octobre indiquant que la France se tiendrait «toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles».
«La liberté, nous la chérissons ; l’égalité, nous la garantissons ; la fraternité, nous la vivons avec intensité. Rien ne nous fera reculer, jamais», a écrit le chef de l'Etat, qui a également tweeté des versions en anglais et en arabe.
«Notre histoire est celle de la lutte contre les tyrannies et les fanatismes. Nous continuerons. Nous continuerons. Nous respectons toutes les différences dans un esprit de paix. Nous n’acceptons jamais les discours de haine et défendons le débat raisonnable. Nous continuerons. Nous nous tiendrons toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles», a-t-il martelé. Emmanuel Macron a tweeté quelques minutes après la phrase en anglais «We are ONE», sous-titrée «nous sommes unis».
Dans un communiqué publié par le ministère des Affaires étrangères, la France a par ailleurs réclamé l'arrêt des appels au boycott de ses produits. «Les appels au boycott sont sans aucun objet et doivent cesser immédiatement, de même que toutes les attaques dirigées contre notre pays, instrumentalisées par une minorité radicale», a déclaré le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.
«Ces appels dénaturent les positions défendues par la France en faveur de la liberté de conscience, de la liberté d'expression, de la liberté de religion et du refus de tout appel à la haine», a encore estimé la diplomatie française.
Le Quai d'Orsay déclare avoir mobilisé le réseau diplomatique français «pour rappeler et expliquer [aux autres pays] les positions de la France en matière de libertés fondamentales et refus de la haine». Paris a aussi demandé aux pays concernés de se désolidariser de tout appel au boycott ou de toute attaque contre la France, d'accompagner les entreprises françaises et d'assurer la sécurité des Français à l'étranger.