C'est l'initiative phare du président Abdelmadjid Tebboune, censée répondre aux revendications du Hirak, le mouvement de contestation né le 22 février 2019 et qui avait conduit au départ de l'ancien président Abdelaziz Bouteflika. L'Assemblée populaire nationale (APN) a adopté ce 10 septembre le projet de révision de la Constitution, avant sa soumission à un référendum populaire, prévu le 1er novembre.
La dernière mouture amendant la loi fondamentale a été approuvée à l'unanimité par les 256 membres présents de l'Assemblée populaire nationale, sur les 462 élus siégeant habituellement, lors d'un vote à main levée. Ce projet de réforme sera soumis à un référendum populaire le 1er novembre, date anniversaire symbolique du début de la Guerre d'indépendance (1954-62).
L'objectif est «l'instauration d'un Etat moderne s'employant à servir le citoyen et à rétablir sa confiance, un Etat où la vie politique est régie par les principes de transparence, de régularité, de reddition de comptes et de compétence et qui sépare l'argent de la politique et lutte contre la corruption», a résumé le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, lors de la présentation du projet de loi devant la commission des affaires juridiques de l'APN, le 8 septembre.
Adopté le 6 septembre lors d'un Conseil des ministres présidé par le président Abdelmadjid Tebboune, le projet de révision de la Constitution a été élaboré par un comité d'experts qui a analysé et sélectionné des propositions reçues de la part «des différentes franges de la société, de personnalités nationales et de forces politiques, et dont le nombre s'élève à 5 018», selon Algérie Presse Service (APS).
Le projet «répond aux revendications du Hirak populaire authentique béni», a déclaré le président Tebboune lors du Conseil des ministres, affirmant avoir veillé à ce que la Constitution, dans sa nouvelle mouture, soit «le plus largement consensuelle», en dépit des entraves imposées par la crise sanitaire. Ce texte propose, selon lui, «un changement radical du mode de gouvernance» et promet de promouvoir «la prévention et la lutte contre la corruption», la «justice sociale» et «l'ancrage du pluralisme médiatique libre et indépendant». Le projet d'amendement prévoit également de renforcer le principe de séparation et d'équilibre des pouvoirs afin d'épargner au pays «toute dérive de despotisme tyrannique», de moraliser la vie politique et de rendre transparente la gestion des deniers publics.
L'opposition pas convaincue
Malgré le vote à l'unanimité, le projet ne fait pas consensus au sein même de l'APN et est déjà critiqué par des juristes et des défenseurs des droits de l'Homme.
L’Assemblée n’a pas le droit de débattre cette loi, alors pourquoi la soumettre au vote des députés ?
Des partis politiques siégeant à l’Assemblée populaire nationale (APN), comme le RCD, El Adala et le MSP, ont en effet décidé de boycotter la séance plénière de ce 10 septembre. La veille, les débats autour de ce document se sont tenus au sein de la commission des affaires juridiques, administratives et des libertés de l’APN, puis les chefs des différents groupes parlementaires ont pu donner leur avis sur le contenu de cette Loi fondamentale. Cité par le quotidien francophone El Watan, Le député Lakhdar Benkhalef, du parti El Adala (qui se présente comme islamiste réformiste), ne comprend pas pourquoi ce projet passe par le vote de l’Assemblée alors que les élus n’ont ni le droit de débattre de son contenu en plénière ni d’introduire des propositions d’amendements. «Si du point de vue de la légitimité, l’Assemblée n’a pas le droit de débattre cette loi, alors pourquoi la soumettre au vote des députés ? «La plupart de nos propositions n’ont pas été prises en compte ; en plus, le document en notre possession comporte beaucoup de fautes d’orthographe et trop de contradictions !» regrette Benkhalef.
Voilà ce à quoi aboutit une constitution écrite par le haut et non écrite par le bas, par le peuple, c’est-à-dire par une Assemblée constituante
El Watan rapporte également que face au Premier ministre, le député Bouharoud du parti MSP (qui se présente comme islamiste modéré) a soutient que la mouture ne contient aucune garantie constitutionnelle «sur la transparence des élections, ne criminalise pas la fraude électorale et ne prévoit aucune mesure [contre ce qu'il considère comme] le plus grand fléau à l’origine de toutes les crises du pays». Pourtant, selon l'APS, le texte prévoit la création d'une Autorité nationale indépendante des élections.
Pour Massensen Cherbi, professeur de droit public, partisan du Hirak, le projet de révision constitutionnelle vient «renforcer les mécanismes constitutionnels de l’autoritarisme algérien». «Voilà ce à quoi aboutit une constitution écrite par le haut et non écrite par le bas, par le peuple, c’est-à-dire par une Assemblée constituante», déplore ce spécialiste.
Dans une lettre adressée au président Tebboune le 5 juillet dernier, qu’il a rendue publique le 9 septembre, l'avocat Mostefa Bouchachi, figure du Hirak, après avoir été destinataire de la première mouture du projet, n'est pas plus tendre. Il y fait remarquer que toutes les révisions constitutionnelles passées ont été à l’initiative du pouvoir, alors qu’une Constitution consensuelle doit émaner du peuple à travers une instance élue.