La BCE fera «tout ce qui est nécessaire dans le cadre de son mandat». En annonçant son plan de sauvetage à 750 milliards d’euros, la Banque centrale européenne a clairement laissé entendre qu’elle pourrait faire plus, si nécessaire. Un crédo repris en cœur par la Fed américaine, qui face à la crise du coronavirus, ne se fixe aucune limite dans ses rachats de titres pour soutenir les marchés. Ce «quoi qu’il en coûte» désormais cher à Emmanuel Macron, on le retrouve aussi chez les gouvernements. Comme en Allemagne, première économie européenne, où les garanties de prêts aux entreprises seront illimitées s’il le faut. Pour Xavier Timbeau, économiste à l’OFCE, cette surenchère du soutien sans limites montre que «l’épidémie actuelle justifie tout : on fait passer le coût de la crise dans la dette, et on verra après !». Cette tendance à repousser au lendemain la question de l’endettement est d’ailleurs plus marquée en Europe qu’aux Etats-Unis, où Donald Trump ne voudrait pas «que le remède soit pire que la maladie». Référence aux conséquences économiques désastreuses d’un confinement total à l’européenne.
La Commission de Bruxelles elle-même incite les Etats à délier les cordons de la bourse. Pour qu’ils puissent s’endetter davantage le temps de la crise, elle suspend la règle d’un déficit public limité à 3% du P.I.B. De quoi permettre aux gouvernements d’injecter «autant qu’ils en auront besoin» dans leurs économies, dit Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Déjà, Gérald Darmanin, ministre chargé du budget, a laissé entendre que la France serait à 3,9%, voire davantage cette année ; contre une prévision à 2,2% avant le coronavirus. Pas de quoi offusquer Christian Saint-Etienne, professeur d’économie au CNAM : «il est normal qu’en temps de crise, on abandonne les critères». Xavier Timbeau est d’accord : «la Commission n’a pas d’autre choix. Elle doit être flexible et adapter ses règles dans ces circonstances exceptionnelles». A combien pourrait alors monter le ratio de la France ? Au rythme où vont les choses, Christian Saint-Etienne prévoit 4,5 à 5%. Quant à la dette publique, déjà à 100% du P.I.B. ? Xavier Timbeau la voit très vite passer à 110%. Encore plus vite en tous cas que lors de la crise de 2008. Prudent, le gouvernement ne fait pas plus de pronostics sur le dérapage des finances publiques, préférant insister sur les 45 milliards d’euros débloqués pour aider les entreprises à tenir le choc. Un effort «immédiat» mais qui pourrait ne pas suffire face à la récession qui arrive.
Dans ce contexte, pourrait-on imaginer l’Union européenne assouplir durablement, voire renoncer à ses règles de discipline budgétaire ? Christian Saint-Etienne n’y croit pas : «cette remise en cause est temporaire. Une fois la crise passée, il y aura un retour progressif à ces règles». Et dans le cas de France, déjà en déficit quand tout va bien : «si le confinement dure moins de 6 semaines, on y reviendra d’ici 3 ans. Sinon, ce sera plus long» prévient l’économiste. Quant à savoir si la suspension des règles budgétaires est un danger pour la cohésion de la zone euro : Xavier Timbeau y voit au contraire un signe fort de Bruxelles «pour montrer que l’Europe sert encore à quelque chose, et qu’elle peut passer cette crise avec un minimum de dommages». Grâce aussi au Mécanisme européen de stabilité (MES), qui peut lever jusqu’à 700 milliards d’euros pour soutenir les pays en difficultés de la zone euro. Dans cet océan de largesses on en oublierait presque qu’en France, le gouvernement a aussi suspendu la réforme des retraites, et le 2ème volet de celle de l’assurance-chômage. Le gouvernement peut-il les ressortir une fois la crise passée ? Pour Xavier Timbeau, tout dépendra «s’il survit ou non à cette crise. S’il est décrédibilisé, au revoir les réformes !». Christian Saint-Etienne est plus expéditif : «cette réforme, sous sa forme actuelle, est morte ! On va sortir de la crise épuisés, le gouvernement ne va pas prendre un tel risque». Il pronostique qu’Emmanuel Macron pourrait même la renvoyer au prochain quinquennat. Si une autre crise n’arrive pas d’ici là…